Bjarke Ingels, architecte en évolution
- Nicolas Houyoux
- 26 nov. 2015
- 5 min de lecture

Le Bjarke Ingels Group (BIG) a son siège social à Copenhague et réunit plus de 140 architectes, designers, constructeurs et penseurs, qui oeuvrent dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme, de la recherche et du développement.
Ces derniers pensent qu’il existe une nouvelle voie pour l’architecture, qui s’enracine dans un territoire intermédiaire extrêmement fertile: une architecture « pragmatico-utopique », qui se donne comme objectif pratique de créer des lieux adaptés du point de vue social, économique et environnemental, qui teste les effets d’échelle et l’équilibre de mixtures programmatiques en fonction de leurs effets sociaux, économiques et écologiques. « Chez BIG, nous nous efforçons d'investir les zones intermédiaires entre les concepts les plus originaux et ceux les plus réalistes. Choisir entre les deux nous condamnerait à endurer le martyr de frustrations ou d’affirmations insensibles. En nous ancrant dans la zone intermédiaire riche de possibilités, nous retrouvons une fois de plus la liberté architecturale de modifier la surface de notre planète, pour mieux l’adapter aux modes de vie que nous souhaitons. Dans toutes nos réalisations, nous essayons de nous extraire des détails pour nous concentrer sur la vision d'ensemble. » déclare Bjarke Ingels. Rencontre à New York.
Quels sont les projets qui vous occupent actuellement ?
Nous avons entamé la construction du « Shenzhen International Energy Mansion » en Chine, de l’hôtel de ville de Tallinn, du Wing Building au Danemark, de l’ « Astana National Library » au Kazakhstan,… Nous avons un projet à New York qui se situe entre l’immeuble cour de type européen et le gatte ciel. Nous avons été choisi par le promoteur Durst Fetner Residential pour construire en plein Manhattan un programme mixte constitué de 600 logements, de commerces et de loisirs. Nous sommes entré en contact avec eux lors de notre exposition au « Storefront » à New York, et ils ont également participé à des jury quand j’enseignais à la Columbia University.
Pour ce projet new-yorkais, nous essayons de combiner une typologie européenne et américaine, en essayant de tirer le meilleur de chaque approche. La 8House était déjà un bâtiment hybride, dans le contexte danois, entre l’immeuble-cour et l’immeuble urbain. La « pyramide » de New York est une forme de bâtiment hybride, une fusion entre deux intentions. New York est une ville finalement peu énergivore, une ville dense dans laquelle il est encore possible de circuler à vélo. Avec la densité vient la possibilité d’une architecture symbiotique, d’une symbiose entre différents programmes en référence à des besoins différents, qui nécessite moins de déplacement et est déjà une première étape vers une architecture durable. Il s’agit d’optimiser les programmes en fonction de leurs emplacements, de leurs orientations, de leurs connexions,… L’architecte doit favoriser les possibilités de compromis entre différents utilisateurs ayant des besoins différents. La construction durable devient une réflexion sur le collectif, proche du thème de la densité.
Comment abordez-vous la conception de vos bâtiments ?
Une construction n’est pas qu’une affaire de proportion et d’ornements, il doit aussi pouvoir au mieux servir des fonctions. Une analyse judicieuse de ces fonctions est une des voies vers l’élaboration du dessin final, avec l’analyse du contexte ou d’autres considérations… et maintenant les architectes se rendent compte que la durabilité est un élément supplémentaire à prendre en compte. C’est positif dans la mesure où cet élément est une source d’inspiration supplémentaire. Le design d’un bâtiment peut en lui-même contenir un degré de performance en matière énergétique.
Je ne crois pas aux ruptures et aux révolutions. Quand Darwin a énoncé sa théorie des espèces, ce qui aux yeux de la majorité apparaissait comme une révolution scientifique n’était en réalité que la première étape d’un long cheminement et l’état des lieux d’une réflexion menée par de nombreux scientifiques en concomitance. Je crois à une architecture évolutive dans la mesure où elle se nourrit de plusieurs sources, de plusieurs causes. C’est la somme de ces influences en constant renouvellement qui fait évoluer l’architecture dans son histoire et dans sa conception.
Vous parlez d’utopie pragmatique…
Nous cherchons à déterminer les critères de sélection du projet, les éléments clés qui permettront la survivance du projet, pour rester dans la métaphore darwinienne. Nous travaillons également sur un projet de musée au bord de central Park à New York. Un des éléments clé est « comment étendre un musée dans un parc sans voler une partie du parc au public ? ». Il faut créer un maximum de symbiose avec le contexte pour assurer la pérennité du projet. Cette question est devenue un des éléments clé de la conception, et tout ce que nous imaginons se confronte irrémédiablement à cette interrogation. C’est à partir de ce moment que la sélection s’opère…
Les critères de sélection peuvent être de type énergétique, fonctionnaliste, historique, contextuel,… Ce n’est pas à ce niveau-là que se détermine leur importance. C’est véritablement en terme de symbiose et de survivance du projet que les choix s’opèrent, en fonction des forces positives et négatives qui s’exercent sur la fabrication du projet.
Comme cela a été le cas pour la Bibliothèque Nationale du Kazakhstan ?
Cela fait 10 ans que nous travaillons sur la bibliothèque. Notre expérience sur le pavillon de l’exposition universelle, sur la 8 House et sur d’autres projets a véritablement nourri notre réflexion. Nous ne serions pas arrivés au même résultat avant ces réalisations. Il y a deux idées principales qui préside à notre proposition ; la première est que le Kazakhstan est en train de se construire une nouvelle capitale en adéquation avec son identité ; la deuxième est qu’une librairie est principalement une archive accessible au Public, en étroite relation avec cette identité. Nous avons cherché à combiner la linéarité du système de classement des ouvrages avec l’idée du cercle infini. De cette manière nous combinons une forme intuitive avec la rationalité de l’organisation des archives, et toutes les autres fonctions s’organisent autour des livres.
Comment s’opère la gestion des projets avec les Chinois, le gouvernement kazakh,… ?
Chaque projet se gère différemment. La société kazakh est très hiérarchisée, travailler avec les Chinois n’est pas comparable avec la réalisation d’un projet en Estonie. Nous travaillons dans des contextes très différents tout autour du globe. Nous cherchons toujours de manière générale à maximaliser les contributions que nous pouvons apporter à l’usager. L’être humain est notre préoccupation principale.
Comment voyez-vous votre positionnement en tant qu’architecte hyper médiatisé ?
Nous continuons à travailler en fonction des opportunités qui se présentent. Il est incontestable que ces opportunités se développent au fur et à mesure des projets et des contributions que nous pouvons apporter. Il est agréable de pouvoir exprimer ses idées de façon concrète. Chaque projet amène des questions supplémentaires… et chaque réponse est différente. Nous sommes heureux d’avoir une voix dans le débat architectural, de pouvoir répondre à de nouveaux challenges, de nouvelles complexités, c’est cela qui nous pousse à continuer. J’essaie toujours d’intégrer ma vision théorique dans le travail pratique.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux
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