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Les façades mentales de Wesley Meuris

  • nhouyoux
  • 15 oct.
  • 6 min de lecture

L’artiste dévoile les architectures invisibles du regard, les systèmes de classification qui façonnent notre perception, et les implicites de ce que nous décidons de voir ou non. En nous proposant des objets réduits, dépouillés, mis en exposition fictive ou “dé-fonctionnalisés”, il nous rappelle que toute architecture — matérielle ou mentale — construit le regard autant que l’espace. On y retrouve un questionnement récurrent : comment organisons-nous l’espace, comment présentons-nous ce que nous voyons, et quels sont les gestes qui façonnent notre regard ?


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Né en 1977 à Lier, en Belgique, Wesley Meuris s’est imposé ces dernières années comme une figure singulière de la scène contemporaine européenne. Formé à la sculpture, il parle le langage de l’architecture, celui des plans, des modules, des structures. Ses œuvres ressemblent à des musées miniatures, des enclos zoologiques ou des stands d’exposition — mais débarrassés de tout contenu. Ce qui l’intéresse, c’est le cadre, pas ce qu’il contient.


Au début des années 2000, Meuris s’est fait remarquer avec des reproductions de piscines publiques, de cages d’animaux ou de sanitaires — des espaces du quotidien qu’il reconstruisait à l’identique, mais vidés de leur usage. Cette neutralité déstabilisante transformait la banalité en sujet d’art : à travers ces structures fonctionnelles, l’artiste révélait la part esthétique, presque rituelle, des environnements que l’on traverse sans les voir.


Ces installations jouent sur la frontière entre le réel et le fictionnel : elles semblent prêtes à être utilisées, mais ne servent à rien. Dans leur perfection sans vie, elles interrogent nos réflexes d’observation. “L’espace neutre” devient terrain critique.


Un plasticien du protocole


Avec le temps, Meuris a déplacé son attention vers un autre terrain : celui des institutions du savoir. Dans des projets comme The Public Art Center (PAC), il recrée des caisses d’archives contenant des reproductions d’œuvres appartenant à des universités. On y devine un humour discret, mais aussi une réflexion très sérieuse sur la façon dont les musées, les écoles et les archives conditionnent notre regard.


Ces dispositifs rappellent à quel point la présentation influence la perception : un cadre, un socle, une vitrine — tout cela n’est jamais neutre. Chez Meuris, la façade du musée devient le sujet même de l’œuvre.


Dans ses expositions récentes — Preferability à la galerie Annie Gentils (Anvers, 2024) ou Probes à Krieg (Hasselt, 2021) —, il explore encore ces frontières : entre présentation et absence, entre architecture et idée. L’artiste se fait enquêteur des espaces qui structurent la connaissance.


Dans un monde saturé d’images, de classements et de données, le travail de Wesley Meuris prend une résonance particulière. Il nous rappelle que la culture, la science, l’architecture — tout cela repose sur des cadres invisibles, des structures mentales et matérielles qui façonnent notre vision du réel.


Entre sculpture et sociologie, entre art et architecture, Meuris signe une œuvre où l’esthétique rejoint l’éthique : regarder, c’est toujours déjà classer. Rencontre


Pouvez-vous nous parler un peu de votre travail actuel ?

Ces dernières semaines, j’ai enfin pu revenir à l’atelier. J’enseigne également, donc au début de l’année académique, mon temps était entièrement pris par les préparations. Mon activité se partage entre l’enseignement et la création. Le thème sur lequel je travaille en ce moment tourne autour de la nature, de l’intelligence artificielle et des manières dont ces éléments peuvent se rencontrer ou s’opposer. Je m’intéresse aussi de plus en plus aux matériaux issus de savoir-faire anciens, comme le métier à tisser, les fibres naturelles ou le roseau, et à la manière dont on peut réinventer ces matériaux dans un dialogue avec d’autres usages.


Quelle place occupe la fonctionnalité dans votre travail ?

Je ne cherche pas à créer des objets fonctionnels. Mon travail est plutôt une réflexion sur l’architecture et la manière dont elle se relie au corps et à notre perception. J’ai grandi sur des chantiers — mon père était menuisier — et j’étais fasciné par les formes les plus simples dans la construction. Petit à petit, j’ai voulu interroger cette fascination : comment l’architecture fonctionne-t-elle, que signifie-t-elle pour nous ?


À une époque, je me suis beaucoup intéressé aux zoos et aux enclos pour animaux. J’étais frappé par la façon dont ces environnements artificiels sont conçus à la fois pour le bien-être de l’animal et pour offrir au visiteur une vision « parfaite ». Ce double regard m’a amené à réfléchir à la construction d’espaces presque fonctionnels, mais qui, en y regardant de près, révèlent leur artificialité.


Cherchez-vous à créer une forme de perturbation dans la perception du spectateur ?

Oui, parfois. J’ai par exemple réalisé une piscine dont les fondations sortaient du sol, modifiant ainsi la perception de ce que l’on attend d’un tel espace. Il y a souvent ce décalage : la forme semble fonctionnelle, mais elle ne l’est pas réellement. Ce glissement crée un trouble, physique ou conceptuel, qui m’intéresse beaucoup.


Le geste de construire, de manipuler la matière, est-il essentiel pour vous ?

Absolument. J’aime fabriquer, être en contact avec les matériaux, comprendre comment ils réagissent. La construction, le processus de fabrication, c’est une manière de penser avec les mains. C’est aussi une question d’échelle : le rapport du corps à la matière, à la taille de l’objet, à sa présence. Le faire est indissociable de la réflexion.


Vous évoquez souvent l’architecture et l’histoire. Quelle place tient la recherche dans votre démarche ?

Elle est fondamentale. Je passe beaucoup de temps dans les archives, à étudier l’évolution des formes architecturales, comme celle des cages de zoo, par exemple. Comprendre leur histoire, leurs usages, les idéologies qu’elles traduisent. Puis je fais des dessins, souvent conceptuels, presque comme des diagrammes. C’est une manière d’explorer les idées avant de passer à la maquette ou à l’installation.


Pensez-vous aux lieux où vos œuvres seront présentées ?

Pas toujours au départ. Certains projets naissent sans destination précise. Mais lorsqu’une invitation arrive, l’espace devient alors central. J’aime les projets contextuels, où l’œuvre dialogue avec le lieu. J’ai par exemple réalisé des installations dans des bâtiments réhabilités, où il s’agissait de repenser la manière d’y exposer. Ces projets demandent du temps, de l’échange avec les curateurs, les historiens, les architectes.


Quelle relation cherchez-vous avec le public ?

Dans l’espace public, la relation est très différente. On ne va pas « voir » l’œuvre, on la rencontre. L’objet doit être accessible, parfois utilisable, tout en gardant une dimension artistique. Je ne cherche pas à imposer une lecture unique : certains y verront un mobilier urbain, d’autres une sculpture. L’ambiguïté me plaît.


Comment décidez-vous de travailler en deux ou trois dimensions ?

Cela dépend du projet. Certains dessins restent à l’état de 2D parce qu’ils fonctionnent comme des idées, des hypothèses. D’autres appellent la matérialisation, souvent pour des raisons d’échelle ou d’expérience corporelle. Parfois, je transforme littéralement un diagramme en installation à l’échelle 1:1.


La lumière semble jouer un rôle important dans votre travail.

Oui, la lumière et l’eau sont des matériaux à part entière. La lumière sculpte l’espace, elle crée du volume, du rythme, parfois une dramaturgie. L’eau apporte le son, le mouvement. Ces éléments participent à la déconstruction des environnements que j’observe — musées, archives, maisons anciennes — et à leur recomposition sous une autre forme.


Pour vous, la lumière est donc une matière ?

Oui, c’est une matière mais aussi une expérience. Elle est physique et immatérielle à la fois, comme le verre d’ailleurs, qui est présent et transparent en même temps. J’aime ces matériaux ambivalents, à la fois concrets et insaisissables.


Quelle est votre définition de l’esthétique ?

C’est une question difficile. L’esthétique, pour moi, n’est pas seulement la beauté. C’est une tension entre familiarité et inconfort. Quelque chose qui attire et dérange à la fois. J’aime quand une œuvre paraît « construite », presque trop parfaite, parce que cela révèle justement sa mise en scène, sa narration cachée.


Comment choisissez-vous vos matériaux ?

Chaque matériau a un sens. Les carreaux, par exemple, évoquent pour moi l’hygiène, le contrôle, la propreté extrême — une forme de désir humain de maîtrise. Le verre, lui, sépare et relie à la fois. Parfois je détourne ces matériaux : je peins du MDF pour qu’il ressemble au métal, ou inversement, afin de brouiller les repères.


Vos œuvres évoquent parfois la technologie. Quel rapport entretenez-vous avec elle ?

J’ai commencé à m’y intéresser pendant la pandémie. Les satellites, par exemple, reliaient le monde entier alors que nous étions isolés. Mais je reste ambivalent : la technologie va trop vite, et j’ai besoin de ralentir, de revenir à des matériaux naturels. Mon travail ne met pas en œuvre la haute technologie ; il cherche plutôt à réfléchir sur elle, à travers le geste manuel et la lenteur du faire.


Vous enseignez aussi. Que vous apporte cet échange avec les jeunes artistes ?

Beaucoup. J’aime comprendre comment les nouvelles générations perçoivent le monde. Leur rapport à la matière, à l’image, à la technologie est différent. Enseigner, c’est aussi apprendre. Et transmettre une certaine responsabilité : celle de mettre un objet dans le monde avec conscience.


Quels sont vos projets à venir ?

Je prépare actuellement un livre monographique qui reviendra sur vingt-cinq ans de pratique, structuré autour de cinq grands thèmes. Je travaille aussi sur un projet d’art public à Anvers, pour un ensemble de bâtiments en transformation. L’idée est d’utiliser les matériaux issus de ces démolitions pour créer une œuvre au sol, en dialogue avec le site. Ce sont des processus longs, mais j’aime cette temporalité : les projets se construisent dans le temps, avec les gens, les contraintes, le lieu.


Et les concours publics ? Est-ce une démarche que vous appréciez ?

Oui, même si c’est parfois exigeant. Je n’ai pas de catalogue d’idées toutes prêtes : chaque projet part du lieu, du contexte. C’est ce qui rend le travail passionnant. Parfois, je sais tout de suite que l’endroit me parle, et alors je me lance.


Interview par Nicolas Houyoux

 
 
 

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