Vers l’essence de toutes les formes
- nhouyoux
- 26 juil. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 août 2024
Depuis plus de 55 ans, l’artiste Willy De Sauter travaille sur divers supports : la sculpture, le dessin ou la peinture. Il devient lauréat de la Jeune Peinture Belge en 1976, et développe une œuvre d’une impressionnante cohérence. Il se classe comme le praticien d’un ‘art fondamental’, caractérisé par un minimalisme sans compromis. L’artiste ne s'intéresse pas au geste spectaculaire, et reste un adepte de la tranquillité visuelle, plus profonde et plus stimulante. Chaque spectateur est invité à prendre le temps, à se concentrer sur l'observation, à s’adonner à la contemplation produite par la richesse de stimuli subtils, pour capter l'émotion de ses œuvres.

Comme l’architecte, De Sauter recherche l'ordre et la structure. Sa fascination pour l'architecture l'emmène à Vienne, en Italie, en France : il s'inspire des œuvres d’Adolf Loos, de Giuseppe Terragni, de Le Corbusier et en réinterprète les structures formelles. Il pose la question de la peinture « objet », et de sa relation avec l’architecture. Que les œuvres soient installées contre un mur ou disposées sur des tables, elles font partie de l’espace et entrent en dialogue avec lui.
Il met l'accent sur le monochromatisme. Il élabore ses premières expériences avec la ligne, la surface et la lumière dès 1971, mais à partir des années 1990, il se concentre sur la création de peintures et d'objets monochromes à la craie et à la colle. Les contrastes entre le lisse et le mat, les textures et les rayures du pinceau ou de la spatule se combinent avec la lumière environnante pour enrichir l’intensité de ses rendus. Par la lumière et l'ombre, le blanc prend une qualité méditative.
Willy De Sauter a exposé au niveau national et international, notamment à Rotterdam, Milan, La Haye, Berlin, au Musée d'Art Moderne de Bruxelles, au M HKA à Anvers ou au Groeninge Museum à Bruges.
Vous avez très tôt manifesté un intérêt pour l’architecture, d’où cela vous vient-il ?
J’habite une maison construite en 1969 par un ami, Hendrik Scherpereel. J’ai étudié l’art à Sint Lukas à Gand, en même temps qu’il y étudiait l’architecture. Nous provenons de la même région, entre Bruges et Knokke, Dudzele. Le style du bâtiment est remarquable, avec l’utilisation de la pierre d’Aardenburg. Il y a fait installer un escalier inspiré par Marcel Breuer, dont la simplicité et la virtuosité sont admirables, surtout dans la façon dont Breuer incorpore la main courante et les balustres aux marches. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour l’architecture. J’aime la simplicité et le dépouillement, une certaine pureté. C’est visible dans la totalité de mon travail. Au début de mes études artistiques, j’ai d’abord étudié les formes et les compositions classiques en profondeur, mais j’en suis vite arrivé à la nécessité d’une dématérialisation. J’ai cherché le plus possible à faire l’économie de tout ce qui pouvait être éliminé en pratique, jusqu’à pouvoir me passer de l’encre. Pour dessiner des lignes, je pliais simplement la feuille, laissant l’ombre et la lumière jouer leur rôle et révéler le dessin.
Lors d’un voyage en Italie, la vue de la façade de la Casa del Fascio de l’architecte rationaliste Giuseppe Terragni m’a inspiré une série de toiles et d’études. Il en est de même pour la villa Muller d'Adolf Loos, la Maison Wittgenstein, construite par Wittgenstein et des élèves d'Adolf Loos ou les constructions de Le Corbusier à Pessac, en France. Leur caractère minimaliste m’a subjugué. Je m’en suis inspiré pour donner corps à une expression esthétique personnelle qui puisse conserver cette première émotion.
J'ai dessiné et peint ‘wat er te zien was in de architectuur’, inspiré de maisons d'Adolf Loos que j'ai exposées au MUHKA il y a une vingtaine d'années. La bonne architecture m’impressionne. J’essaie toujours d’intégrer au mieux mon travail dans les espaces que l’on me propose, en analysant les murs, les sols et les plafonds jusque dans leurs couleurs et leurs textures. J’use de la possibilité de l’espace, c’est une opportunité de pouvoir exposer un travail qui se trouvera renforcé dans un environnement particulier. J’expérimente le lieu d’exposition autant que j’expérimente ce qui est exposé. Mon exposition avec Christian Kieckens au White-Out Studio à Knokke en 2005, par exemple, introduit des éléments bidimensionnels et tridimensionnels qui font référence à l’architecture. Les éléments peints sont une réponse au lieu tel qu’il m’est proposé.
Créez-vous des structures ?
D’une certaine manière. Je crée des rythmes, des séquences d’espaces qui vont mobiliser l’attention et s’intégrer dans un environnement qui devient lui-même médium. L’architecture devient un moyen d’interprétation, de représentation. Les propositions esthétiques que j’énonce sont à la fois liées aux matériaux eux-mêmes et à ma manière de les travailler.
Comment qualifieriez-vous ce principe minimaliste ?
C’est un souci extrême de simplicité. Ce principe fondamental m’a guidé vers un dépouillement qu’on pourrait appelé minimaliste. J’ai commencé à dessiner des lignes, souvent de manière répétitive. Tracer une ligne réduit la création artistique à l'essentiel. Après quelques années, en 1984, comme par réaction à cette attitude austère, j’ai également utilisé des matériaux bruts, comme le cuivre ou le bois, que j’ai façonné pour y inclure des lignes ou une texture particulière.
Les monochromes également impliquent une approche fondamentale de l'art. La texture y est un élément essentiel. À première vue, les panneaux monochromes peuvent sembler blancs, unis et neutre, mais en les observant attentivement, on pénètre la texture, les stries et les cannelures de la surface, les contrastes entre le lisse et le mat, et le jeu changeant de la lumière. Mon attitude fondamentale m'a ramené à la peinture flamande d’il y a 500 ou 600 ans. Cette simple utilisation de colle et de craie a conduit à de nombreuses utilisations de types de craie provenant de différentes régions.
Et pour la couleur ?
J'ai ensuite ajouté des pigments à la craie et à la colle, ce qui donnait plus de possibilités de couleurs et de nuances, et se révélait également plus accessible. La couleur est une matérialité. Les variations de couleurs peuvent elles aussi être très pondérées. Blanc ne veut rien dire. Il y a une très grande variété de blancs. Un blanc de Meudon n’est pas un blanc de Titane.
Pensez-vous à la durabilité de vos œuvres, à leur parcours dans le temps ?
Les monochromes sont réalisés avec de la craie et de la colle très résistante. Les Primitifs flamands utilisaient déjà un mélange de craie et de colle comme base pour leurs panneaux de bois.
La qualité du panneau et des matériaux est essentielle, elle est garante de la durée de l’œuvre dans le temps. Les panneaux sont renforcés avec des éléments en aluminium, c’est un travail intensif et artisanal. Je travaille sur la surface, mais les bords rectilignes et nets sont essentiels et font partie de la composition. Ils donnent l’ombre qui marquera la surface sur laquelle ils sont placés. Cette ombre doit signifier l’épaisseur de l’œuvre, mais aussi s’intégrer dans une composition plus large, dont on tiendra compte dans une proposition d’alignement. Un panneau plus épais donnera une ombre plus grande, qui pourra être aligné avec un panneau moins épais à placer plus bas.
Qu’en est-il des sculptures, ont-elles un statut particulier ?
J’ai commencé à réaliser des sculptures dans les années 80. Elles sont bien sûr également liées à l’idée que je me fais de l’architecture. Comme l’architecture, elles permettent de ralentir le spectateur, pour qu’il se consacre pleinement à elles. Elles peuvent être vécues par la déambulation et le regard. L’intuition du spectateur est aussi très importante, autant que la mienne, et fait partie de l’installation. Celui qui façonne côtoie celui qui regarde. Les ‘tables-sculptures’ que je réalise, servant de socle à mes productions, participe de ce souci de mise en architecture de mes œuvres. Ces sculptures peuvent parfois sembler du mobilier, ou conditionner la fonctionnalité d’un espace.
Comment mêlez-vous votre préoccupation pour l’espace et vos œuvres lors de leur conception ?
Je réalise mes tableaux et mes sculptures dans la position dans lesquels ils seront montrés. Cela me permet d’avoir une vision claire et directe de l’impression qu’ils livreront.
Je réalise aussi des séries. J’ai produit des dessins à caractère procédural, en modifiant successivement l’épaisseur ou la longueur d’une ligne, ou en multipliant par exemple les lignes jusqu'à ce que le dessin final devienne une surface complètement noire. Ces séries peuvent être des panneaux ou des sculptures groupées, des ensembles. Je les vois comme un tout, à inclure dans un espace. C’est dans le cadre des séries que la couleur et le rendu des textures prennent une signification particulière : elles doivent se répondre, s’harmoniser. Une installation peut concerner un ensemble de petits et de grands panneaux, qui fonctionnent ensemble.
Votre motivation créative est-elle toujours intacte ?
Sofie Van de Velde a réalisé un film me concernant, qui a été montré plusieurs fois, notamment à Sint Lukas ou au cinéma Lumière à Anvers, où il a fait salle comble. C’est un film qui me plait, qui montre bien les intentions que je tente de développer. Je travaille encore tous les jours, malgré mes 86 ans. C’est chez moi une question de caractère, je suis quelqu’un de droit et de précis. Quelqu’un de plutôt pratique et de concis aussi. Seule cette sobriété peut atteindre à l'essentiel, par une détermination permanente à réduire le plus possible toute forme de redondance et de superflu.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux
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