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Créer des microclimats

  • nhouyoux
  • 16 mai
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 mai


Bas Smets est architecte de paysages de renommée internationale et lauréat du concours mondial qui avait été lancé en 2022 pour réaménager les abords de Notre-Dame à Paris.

Il est titulaire d’une maîtrise en architecture et en génie civil de l’université de Louvain et d’une maîtrise en paysage de l’université de Genève, et a acquis une expérience pratique auprès de l’architecte paysagiste français Michel Desvigne. Il a ouvert son bureau en 2007 à Bruxelles et a rapidement acquis une réputation internationale avec des conceptions de paysages et d’espaces publics dans le monde entier.

Il est professeur ‘Practice of Landscape Architecture’ à l’Université de Harvard. Il a auparavant enseigné dans diverses institutions, telles que l’École d’architecture la Cambre à Bruxelles, l’École spéciale d’architecture à Paris et la Technische Universität à Graz. En 2017, il a été nommé commissaire général de la Biennale d’architecture de Bordeaux. Bas Smets a reçu de nombreuses distinctions et prix, dont le Prix de l’urbanisme et de l’espace public de l’Académie française d’architecture et le Prix Aga Khan d’architecture.

Pour la Biennale de Venise 2025, sa proposition d’exposition "Building Biospheres" envisage les bâtiments comme des microclimats artificiels au sein desquels la végétation joue un rôle crucial pour purifier l'air et rafraîchir les espaces.



D’où vient votre intérêt pour le paysage en particulier?

Je dirais que c’est d’abord un  intérêt presque philosophique, pour répondre à la question : comment habiter la planète ? Comment vivre sur cette masse qui, par gravité, tient la biosphère composée de plantes, d'humains et d’animaux? Comment partager ce lieu ?

Pendant ma jeunesse, j'habitais à Tervuren et j'allais à l'école à Louvain. J'étais dans de l'urbain tout le temps. Puis à 18 ans, j'ai participé à un programme d'échange aux États-Unis. J'ai vécu dans l'Oregon, entre l’état de Washington et la Californie. C’est là que j'ai découvert les grandes étendues naturelles, presque immaculées. Cela m'a vraiment marqué.

J’ai continué à voyager essentiellement dans les villes. Je voyais cette tension entre  des villes construites par l'homme et pour l'homme, et cette nature à l’état sauvage. Je me demandais comment réunir le meilleur des deux mondes.  Comment amener cette expérience de la nature dans les villes ?

Une ville doit être pensée comme une possibilité de nature, comme un microclimat produit par l'homme. Les bâtiments changent le vent, les rues et les places change la perméabilité des sols et le ruissellement des eaux. On peut explorer ce qui existe comme un système, et lire la ville comme une possibilité de paysage.


Les contraintes urbaines et les contraintes liées au paysage sont-elles différentes?

Elles sont assez semblables. Par exemple, les pins arrivent à pousser dans la masse minérale des Alpilles,  ils trouvent des chemins dans les failles grâce à l'intelligence de leurs racines. C'est un peu pareil quand on veut planter des arbres sur un parking où l’on n’a pas l'épaisseur de terre nécessaire, mais un volume de terre suffisant. On s’inspire des logiques naturelles et on les reproduit dans une situation artificielle. Dans la mesure où la dalle est imperméable, alors que l’eau percole dans les rochers, je mets en place un dispositif sur la dalle pour que l’eau ne s’évacue pas, en reproduisant un schéma naturel. Il ne faut pas opposer le naturel et l’artificiel, il est plus intéressant de parler de logique naturelle.


Doit-on forcer la ville à accepter le paysage ?

Je dirais autrement : il faut aider la nature à se réinstaller. Elle l’aurait fait quoi qu'il arrive, mais cela aurait peut-être pris cent ans. C'est pour cela que je me concentre sur une accélération  de ce que la nature aurait fait d'elle même.

A Arles, je me suis demandé comment la nature aurait investi cette friche industrielle après quelques quelques centaines d’années : sédimentation, topographie, vent transportant les graines, vie sauvage. Je reste dans un processus naturel, sauf que nous l’avons acceleré par rapport aux  successions écologiques naturels.


Comment vos projets s’amorcent-ils ?

C'est une toute autre façon de réfléchir. Dans un projet de paysage, on n'est pas dans la création d'un objet fini, comme un bâtiment, qui a des mesures, un toit, une dimension fixe. On est dans l'amélioration d'un processus. Le paysage est partout, il n’a pas de limite. On s'inscrit dans ce qui est déjà là, pour l'améliorer, pour le transformer, dans l'idée que quelqu'un d'autre le fera encore d'ici 50 ans ou 100 ans.


A la Biennale de Venise, portez-vous un regard critique sur l'architecture ?

Je me pose la question : qu'est-ce que l'architecture? Je ne propose pas de mettre des plantes dans un bâtiment, mais je propose de lire le bâtiment comme un micro climat, comme je l’ai fait dans des extérieurs à Arles ou dans beaucoup d’autres projets. Si on considère le pavillon belge à Venise, il est plutôt petit, il a un toit vitré : il produit un microclimat par lui-même, un microclimat de sous-bois, parce qu'il y a quand même beaucoup d'ombre à cause des toitures. Un microclimat subtropical aussi, parce que la température intérieure est plutôt élevée. Mais ce sont les arbres placés à l’intérieur qui, par photosynthèse, par transpiration, vont réduire la température ambiante, modifier le climat initial. Il faut repenser l'architecture comme l'organisation de la vie.

Si on pense à la hutte primitive, elle a été conçue avec les matériaux de la biosphère : du bois pour se protéger contre la pluie, contre le vent, contre la neige. Il faut repenser l’architecture, non comme quelque chose qui nous isole de la biosphère, mais au contraire qui nous permet de mieux vivre dans la biosphère. Nous vivons 80% de notre temps dans des capsules, à l'intérieur, coupés de ce qui nous permet la vie, la biosphère, puisque nous respirons l’air des plantes. Il faut repenser la relation entre l'architecture et la nature, entre les bâtiments et les plantes. L'architecture doit nous permettre de mieux survivre, car il s’agit bien de survie, avec 5° de plus d’ici quelques décennies selon les prévisions du GIEC. Nous, mais aussi les plantes et les animaux. L'architecture peut devenir une sorte de structure qui permet de créer des microclimats. Il faut repenser l'architecture comme une possibilité d'organisation de la vie.


Le réchauffement climatique devient-il une donnée prédominante, au-delà de toutes les autres ?

Oui, et on n’en parle pas encore suffisamment. J’ai ouvert une exposition à Versailles début mai que j'ai appelée ‘changer les climats’. En 2100, on sera 4 ou 5° de plus. C'est vraiment la donnée la plus importante à prendre en compte. Tout projet doit contribuer à rendre la ville plus résiliente. Le GIEC parlent d’une ‘fenêtre d’opportunité’ de 10 ans.

C’est le petit projet de cour à Londres, qui date de 2010, qui m’a convaincu de la nécessité d’agir sur les microclimats. Dans ce projet, c’est le microclimat de la cour qui dicte la logique. La ville est faite de milliers de microclimats, et il faut répondre à chacun de ces cas particuliers. Si j’avais proposé un platane londonien pour l’aménagement de la cour, alors qu’elle correspond à un climat subtropical, il serait mort rapidement.  Mais la fougère de Tasmanie que j’ai plantée est aujourd'hui une des plus grande fougère arborescente d'Angleterre. C'est exactement le climat qu'il lui faut.

Comme à Londres, à Arles ou pour le projet ‘Trinity’ sur la dalle parisienne de La Défense, on peut imaginer une quantité de paysages, tous particuliers, contrairement au 19ème siècle qui imposait un vocabulaire de composition très strict et des typologies réduites, et qui n’intégrait pas la composition du paysage dans l’écosystème et la réflexion climatique.


Comment faudrait-il penser les bâtiments d’aujourd’hui ?

Il est nécessaire de conserver une relation avec la biosphère. Dans les années 70, on parlait du ‘sick building syndrome’ lié à des bâtiments complètement hermétiques. L’homme a produit artificiellement le même climat partout dans le monde, du désert jusqu'au au pôle Nord. C’est d’ailleurs un climat un peu subtropical, mais avec moins d'humidité. Cela a engendré la crise climatique. Il faut repenser la relation entre les constructions et les climats, comme une possibilité de vie.


Quel lien faîtes-vous entre paysage réel et imaginaire ?

En 2000, à la fin de mes études, j'ai cherché l'origine du paysage et de l'architecture du paysage. Le paysage était souvent vu comme le petit frère de l’architecture, quelque chose qui venait avec le bâtiment. Et je n’étais pas à l’aise avec cette conception.

Je me suis rendu compte que le mot paysage a été inventé au 15ème siècle pour parler d'un nouveau genre dans la peinture. Rogier de La Pasture et Joachim Patinir peignaient des fenêtres dans leurs œuvres qui leur permettaient une sorte de liberté, une sorte de paysage idéal. Ils composaient des paysages rassemblant ce qu’ils avaient vu lors de leurs voyages. J’aimais l’idée que le paysage prenne sa définition dans un acte créatif, qui prenait lui-même sa source dans la réalité.

C’est un processus créatif qui devient cyclique, l’existant devenant l’objet d’une transformation future. Ce cycle est à rapprocher du cycle saisonnier ou des divers cycles de la nature. C’est une conception qui diffère de ce que j’avais appris lors de mes études d’architecture, où l’on nous conduit vers l’aboutissement d’un objet. D’ailleurs tous les architectes veulent que l’on photographie leur bâtiment immédiatement après leur achèvement, avant qu’il ne se détériore, alors que pour moi c’est bien différent. Je dois souvent expliquer à mes clients que le projet réalisé sera mieux dans 4 ou 5 ans, et restera évolutif.


Vous mentionnez paysage augmenté, résiliant ou exemplaire. Le paysage revêt-il une force particulière ?

Oui, j'ai développé l’idée de paysage exemplaire, comme une structure cachéedans la réalité qui peut produire une sorte d'armature qui fait sens. Dans un projet, j’essaie souvent d’éliminer tout ce qui n’a pas de sens ‘systémique’, et de révéler la structure invisible qui produit réellement la réalité. Cela peut être la topographie, le ruissellement des eaux, l’implantation des arbres,… Ce paysage exemplaire est ce paysage existant caché dans la réalité, que l’on va renforcer pour l’augmenter et permettre à sa réalité de s’exprimer pleinement. C’est ce qui va aussi permettre de sortir de l’idée d’un paysage comme simple placage décoratif. Pour le parc de Tour et Taxis à Bruxelles, par exemple,  on disposait de 80 cm d’anciens ballasts, qui ont été grattés et stockés sous les grandes pelouses en hauteur et deviennent ainsi des réservoirs d’eau, utiles pour le développement du projet.

C’est la même réflexion que nous proposons à la Biennale de Venise, mais à l’intérieur. Une plante à l’intérieur peut permettre bien plus que son simple aspect décoratif, et participer au climat intérieur du bâtiment. Elle va aussi produire de l’oxygène et purifier l’air.


Pour cette Biennale, vous explorez aussi les pistes liées à l’intelligence des plantes avec le neurobiologiste Stefano Mancuso.

Absolument. Je l’ai rencontré il y a 10 ans, quand je suis allé le voir dans son laboratoire à Florence. Depuis nous travaillons en étroite collaboration pour intégrer ses découvertes dans nos projets. J’ai toujours voulu être à la pointe du savoir en matière de paysage, et il est inutile que chacun travaille dans son coin sans tenter des synergies. C’est cela qui m’a permis de réaliser des projets risqués comme Arles ou La Défense. Le soutien de la science est primordial dans ce que je conçois.

Nous faisons un pas supplémentaire à Venise en statuant que l’intelligence des plantes peut produire le climat d’un bâtiment, en purifiant l'air, en le rafraîchissant ou en produisant l'humidité que l’on pourra ensuite distiller.


Qu’est-ce qu’un projet réussi ?

C’est un projet de paysage que l’on n’avait pas encore pu imaginer, c’est une intelligence collective, puisque je travaille aussi avec des artistes comme Philippe Parreno, Carsten Höller ou Roni Horn, et qui produit un résultat dont on n’imaginait pas l’amplitude au départ. C’est l’idée de ‘pirater la logique naturelle’, de multiplier les actions et de produire des projets qui soient reproductibles, pour que leurs effets soient multipliés.


Comment voyez-vous le développement de votre bureau dans le futur ?

Nous sommes 25 à Bruxelles et 6 à Paris. Je ne souhaite pas diluer mon attention et multiplier les bureaux. Je préfère concentrer mon énergie, et je crois dans une logique qui est la création d’une intelligence qui puisse se propager.

C’est une idée qui contredit un petit peu le recours systématique aux concours, qui engloutissent énormément d’énergie. Vu l’urgence climatique, est-ce la bonne méthode ? C’est un peu tabou de le dire, mais souvent les premiers projets des concours se valent, et sont le fruit de gens que je connais et que j’apprécie. Ne serait-il pas plus judicieux de créer un pool qui puisse développer des actions plus significatives, plus rapidement. Il en va de la survie de la ville, au-delà de son embellissement.


Propos recueillis par Nicolas Houyoux

 

 

 

 
 
 

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