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De la contrainte à la matérialité de la couleur

Il n’y a pas de réalité sans contrainte. L’architecture combattant l’arbitraire du réel travaille à l’intérieur de contraintes établies. L’architecture en tant que production culturelle et forme symbolique participe de la vie sociale. En renvoyant à une image du monde, l’architecture révèle quelque chose du monde, et toute œuvre architecturale implique de concevoir le rapport entre la nature et les conventions humaines. Que recouvre cette quête d’une maîtrise qui attribue à la contrainte elle-même une fécondité propre ? L’apparition de nouvelles contraintes est-elle le signe d’un regain de « créativité » ? Y a-t-il un dynamisme contraignant de la forme ?



La contrainte est d’abord « créatrice » : elle est le fruit d’un choix préalable qui relève de l’œuvre autant parce qu’elle la détermine, intégralement ou en partie, que parce qu’elle rend visible son processus. L’œuvre architecturale n’affecte pas seulement notre raison mais en premier lieu notre corps et touche à notre manière de vivre l’espace. L’architecture permet de se réapproprier les contraintes liées à sa situation objective en les intériorisant. La contrainte se révèle catalyseur. Elle est à la fois élément, processus et condition de l’œuvre, un terme dans une suite d’opérations qui s’enchaînent, un mouvement par lequel elle prend une forme sensible.


Spectateurs et usagers, la position de notre corps engage notre perception symbolique du monde. Et l’architecture demeure un équilibre à venir en quête de ses propres fondements, une contrainte collective, une tension plus qu’une forme en soi. Ainsi nous effectuons un travail de traduction ou de déconstruction pour mieux appréhender ce qui fait « oeuvre », dans un possible conflit esthétique. L’usager intériorise ce qui vient heurter les représentations existantes, tente de s’approprier une proposition, faire avec, la modeler à son tour.


L’architecte parvient à ouvrir un espace de liberté dans une situation de contraintes multiples. Il traduit en espace le contenu de l’injonction, et ajuste ce contenu aux formes et aux dimensions du bâtiment. Détournement, interprétation, manipulation sont autant de stratégies qu’il peut utiliser pour se préserver une marge d’action. Un travail itératif s’enclenche dont les différentes formes conditionnent la vision qu’il se fait des contraintes du projet et des relations entre elles. Il travaille à partir de la matérialité, qui lui permet d’échanger autour de la représentation du projet et de ses qualités particulières. L’expérience esthétique de la matérialité convoque des expériences passées et déclenche des affects : rugueux ou lisse, mat ou brillant, froid ou chaud, sec ou humide, lumineux ou sombre, terne ou en couleur.


Cette couleur qui doit être vue non pas comme une surface, mais comme quelque chose ayant à faire avec l’espace, une matérialité elle aussi. Si l’architecture a quatre dimensions, dont le temps est la quatrième, la couleur matérialise la contrainte qui permet de maîtriser cette dimension-là. Les couleurs ont leurs dimensions anthropologiques millénaires, se mesurent à l’aune des théories scientifiques et obéissent concurremment aux impératifs de l’imaginaire et aux lois des sentiments.


Image: Georges Meurant, projet pour LES VILLAS DE GANSHOREN à Bruxelles, 2013. Philippe Samyn & Partners architectes.


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