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L’architecture comme moteur

  • nhouyoux
  • 4 nov. 2022
  • 5 min de lecture

Juan Herreros (°1958, Madrid) a fondé en 1984 avec Iñaki Abalos (°1956, San Sebastian) le bureau Abalos & Herreros à Madrid. Il a signé avec lui les ouvrages : « Le Corbusier. Rascacielos », « Técnica y Arquitectura en la Ciudad Contemporánea » (publié en anglais par MIT Press sous le titre Tower and Office) et « Natural-Artificial ». Le travail de Abalos & Herreros a été primé à de nombreuses reprises, et a figuré dans de multiples expositions individuelles et collectives.


Juan Herreros a été professeur invité à la Columbia University New York (1995), à l'Architectural Association de Londres (1998) et à l'Eidgenössische Technische Hochschule de Lausanne (1998). Il fut ensuite professeur à la Princeton University School of Architecture. Il est maintenant professeur à l'École d'Architecture de Madrid et à la GSAPP de la Columbia University à New York.


À travers l’estudio Herreros, avec son associé Jens Richter, il déploie une pratique globale, multidisciplinaire et engagée qui combine activité professionnelle, enseignement et recherche. Son travail a été largement récompensé, publié et exposé au niveau national et international dans de multiples institutions, dont le MoMA de New York, le musée Franz Mayer de Mexico ou La Virreina de Barcelone, ainsi que dans plusieurs biennales à Venise, à Istanbul, en Amérique latine et en Espagne. Il a récemment réalisé le musée Munch à Oslo, le centre d’événements Ágora-Bogotá en Colombie, l’espace d’art contemporain Espacio SOLO à Madrid, et des ensembles résidentiels à Marseille, à Barcelone et à Casablanca. L’agence construit actuellement la gare ferroviaire à grande vitesse de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne et le quartier des arts à Guanajuato au Mexique, tout en développant d’autres projets en Espagne, en Roumanie, au Portugal, en Argentine et en Uruguay.


Juan Herreros est devenu une véritable référence dans le monde de l’architecture, tant en Espagne qu’aux niveaux européen et international. Son œuvre vise à mêler éléments naturels et artificiels, en consacrant une grande attention à l’espace public. Les zones industrielles ou historiques acquièrent ainsi une nouvelle dimension publique.



Comment expliquer à Madrid le conflit entre son organisation radioconcentrique d'origine et l'apparition de faubourgs qui sont comme des fragments urbains autonomes ?

Madrid est une ville dans laquelle les architectes ont perdu le contrôle sur l’urbanité, qui résulte beaucoup plus du pouvoir économique et politique. Cela a produit un contraste trop important entre un centre très équilibré, d’une densité et d’une qualité homogène, très dynamique, et des fragments de ville isolés, disloqués. La ville a perdu une grande opportunité de se développer de façon plus cohérente.


J’avais déjà évoqué la ville dans le livre « Recycling Madrid », dans lequel, par une série de projets et de propositions théoriques, j’avançais l’idée que l’architecture a une responsabilité générative et génératrice, qui peut venir en aide à une urbanité en certains points atrophiée.


L’Espagne est pourtant un pays où l’architecture de qualité est possible grâce au client attentif et permanent qu’est l’administration. Depuis la crèche d’un petit village jusqu’au palais des congrès d’une grande ville, l’administration a mis en place une politique de concours et de mise en concurrence des idées qui rendent possible des réalisations de grande valeur. Les œuvres des plus grands architectes espagnols sont très majoritairement des commandes de l’administration. On sent malgré tout qu’aujourd’hui l’instabilité économique a un impact sur le nombre et la qualité des projets.


Votre structure collaborative est-elle un prolongement de votre activité académique ?

Mon activité académique me permet de mettre en pratique l’écoute et la précision dans la transmission des critères que je cherche à élaborer. L’effort pour les rendre compréhensibles fait partie intégrante de cette élaboration. Mon activité académique me sert à éliminer de mon discours mental les éléments superflus, anecdotiques ou démagogiques de ma pratique de l’architecture devant la nécessité de transmettre avec efficacité et pragmatisme certains concepts. Il y a une perméabilité entre mon activité d’enseignant et celle du studio.


Je ne crois pas faire une architecture très conceptuelle en terme de contenu théorique. C’est une architecture alimentée par une manière de penser conceptuelle qui vient de la nécessité d’inculquer une vision critique, par l’attitude de faire la distinction entre les aspects positifs et négatifs lors de l’élaboration d’un projet. C’est accepter que cette différenciation soit à la base de la conception, mais pas dans une logique de confrontation, mais au contraire en considérant qu’il s’agit des ferments de base du projet. Quand je dois choisir un matériau par exemple, ce n’est pas le matériau en tant que tel qui m’intéresse, mais les caractéristiques qu’il doit remplir. Souvent il faut inventer le matériau pour une situation donnée, il faut détourner le matériau de son utilisation usuelle.

Nous rêvons toujours d’une acceptation directe et immédiate de nos réalisations dans la ville. Cela traduit un désir de parvenir à s’immiscer de façon osmotique dans la vie des gens, au-delà que la satisfaction très éphémère de s’illustrer dans notre petit monde d’architectes et de revues d’architecture. Ma lecture d’un lieu cherche toujours à rénover l’idée du contextualisme pour qu’elle ne soit pas nostalgique, pittoresque ou ne dépende pas de soi-disant qualités existantes qui sont toujours le fruit d’une lecture à priori qui dépend des circonstances, mais qui soit au contraire riche en propositions et en intentions.


C’est une intention qui s’illustre tout particulièrement dans votre proposition de musée pour la capitale norvégienne…

A Oslo, nous avons vécu un épisode de confrontation entre différentes opinions. L’aspect le plus dramatique de cette confrontation a revêtu une composante très médiatique. Ceux qui exercent leur droit à la critique parlent généralement plus fort que les personnes favorables au projet. Le Musée Munch a été appuyé sans réserve par tous les secteurs proches de l’art et de l’architecture, et aussi par les politiques, qui imaginent qu’avec ce projet Oslo va pouvoir acquérir une dimension internationale et sortir de son isolement. Certaines forces, généralement liées à la protection du patrimoine, se sont opposés au projet en raison de sa hauteur, de sa dimension et de sa contemporanéité ; alors que le musée est un instrument orienté vers le futur pour comprendre la ville et lui être complémentaire. C’est la confrontation entre des attitudes conservatrices et un positionnement plus prospectif orienté vers l’avenir. Une querelle qui est lié à l’existence de catégories morales qui n’ont plus de valeur aujourd’hui, mais qui continuent à avoir de l’importance pour certains parce qu’elles représentent des lieux communs qui leur évitent toute justification conceptuelle. Le patrimoine est un fait, il est donc beaucoup plus facile à défendre. Nous n’avons pas seulement la responsabilité de veiller à l’histoire de nos villes, nous avons aussi le devoir de l’enrichir. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une architecture médiocre qui serait uniquement le fruit de processus de discussions sans fin, d’un consensus. L’architecture qui parvient à traverser les filtres de ces mécanismes de concertation est une architecture hybride, une architecture en souffrance. Le risque de ne pas plaire à tout le monde, ce délicat mélange entre singularité et acceptation est ce qui fait avancer l’architecture.


Propos recueillis par Nicolas Houyoux

Image: Musée Munch, photo Einar Aslaksen


 
 
 

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