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TEN Arquitectos : l’architecture comme expérience

L’architecte mexicain Enrique Norten (Taller Enrique Norten Arquitectos) a ouvert son agence il y a une trentaine d’années, et est particulièrement actif au Mexique et à New York.

En 1998, il est le premier architecte latino-américain à remporter le prix « Mies Van der Rohe ». En 2009, il reçoit le “Honor Award for Regional and Urban Design” décerné par l'AIA (American Institute of Architects). Les projets récents comprennent le BAM Downtown Brooklyn Cultural District, le plan directeur de l'Université Rutgers au New Jersey ou le musée Amparo au Mexique.

Enrique Norten se veut le promoteur d’une écriture architecturale audacieuse. Le traitement de l’espace et le sens de la scénographie donnent une poésie et une abstraction singulière à son architecture. Rencontre.


Vous avez réalisé des projets de grande ampleur et des projets à très petite échelle. Avez-vous une approche différente en fonction de l’amplitude du projet ?

Chaque projet est différent. Aucun projet ne se répète. Indépendamment de l’échelle, que le volume soit très petit ou que le bâtiment soit plus complexe, chaque projet enferme des conditions de faisabilité très particulières et très spécifiques dont il faut tenir compte de façon différenciée. La seule constante, c’est nous. Tout le reste est exclusif. La culture, l’économie, la politique et les autres facteurs extérieurs sont des conditions particulières pour chaque projet. L’architecture ne peut suivre une quelconque formule. Chaque projet relève d’une série de couches d’information dont il faut absolument tenir compte. Et c’est précisément le travail de l’architecte : reconnaître ce qui est important et l’inclure dans la dynamique du projet.


Où placer vous l’expérience de l’usager ?

C’est une information essentielle. Quand j’évoque la culture d’un lieu, la communauté qui y vit, c’est directement en relation avec l’usager. L’usager n’est pas toujours le commanditaire, c’est pourquoi il faut en tenir compte de façon objective et indépendante.


Y a-t-il encore une place pour l’avant-garde, dans un monde où la temporalité est réduite au minimum. Comment être en avance quand le temps cherche à nous rattraper sans cesse ?


Fondamentalement, je crois qu’une condition d’avant-garde peut encore exister. Je ne me suis jamais senti à l’aise dans le cercle de confort établi, dans des situations réputées confortables. Je préfère toujours explorer les limites, au-delà de la zone de confort. C’est à la limite des choses que l’on devient intéressant, c’est là aussi que le temps à plus de mal à nous rattraper.


Et comment parvenez-vous, le plus souvent, à réaliser concrètement ce que vous avez imaginé sur papier ?

C’est à mettre au crédit de nos clients, qui ont la capacité de nous accompagner dans cette démarche. Le client lambda ne viendra pas nous voir, il ne se sentira pas à l’aise avec nous. C’est pour cela que cette profession est si complexe. Le client et l’architecte doivent pouvoir « coïncider » dans cette attitude à vouloir plus que la chose commune. Il y a peu de chance que vous rencontriez jamais autour de cette table un cadre moyen d’une société de grande distribution. Ce qui ne veut pas dire que l’architecture plus expérimentale n’a pas de fondement structurel ou économique. C’est seulement qu’elle demande plus d’implication, et de la complicité de la part du client, pour qu’il accepte lui aussi de sortir de sa zone de confort.


Quelle est votre manière de travailler ?

Nous travaillons toujours en équipe. C’est une équipe complexe, composée de personnalités multiples, qui ont chacune quelque chose à proposer. Nous essayons toujours de nous éloigner des évidences, pour tenter de voir jusqu’où nous pouvons aller. Parfois nous devons rebrousser chemin, mais jamais pour revenir au point initial. Et comme cela nous avançons. Pas à pas.


Qu’en est-il de votre identification dans les différents projets ?

Je crois me connaître très bien. J’ai toujours senti en moi une curiosité mêlée de rébellion. Et je crois éperdument à la capacité de l’architecture comme forme révélatrice d’une époque, d’une culture ou d’une communauté. Les architectes dessinent les temps et les lieux. L’architecture va bien plus loin que l’objet : la ville est architecture, le paysage est architecture, et c’est le cas pour tous les milieux physiques que nous occupons. Nous vivons une époque de révolution passionnante. Ce monde en changement apporte la nouveauté tous les jours. En ce qui me concerne, je ne cherche pas à créer des objets. Je ne crois pas que plus l’objet est déroutant plus il est intéressant, ce qui semble être beaucoup le cas aujourd’hui. Je crois plus à l’architecture comme expérience, comme mise en relation, ce qui m’implique d’emblée beaucoup plus. Améliorer les conditions de vie, mais aussi les qualités personnelles, intellectuelles, émotionnelles de l’individu est pour moi un enjeu beaucoup plus important.


A quel moment faites-vous intervenir les matériaux dans le projet ?

Je crois que cela intervient très tôt. Une ville comme New York est très différente d’une ville comme Mexico. Ces deux villes, dans la manière dont elles se présentent et par les modes de constructions qu’elles autorisent, impose une matérialité différente. Et il serait stupide de ne pas s’inscrire dans cette matérialité. Le lieu est un paradigme essentiel dans la genèse de la matérialité d’un projet. C’est à l’architecte d’apporter sa vision personnelle en lien avec le lieu dans lequel le projet s’inscrit. Et il en va de même de la typologie, c’est d’autant plus visible dans une ville comme New York. Ainsi nous avons pu, par exemple avec le bâtiment Mercedes, interpréter cette typologie d’une manière totalement inhabituelle, tout en nous inscrivant complètement dans le tissu urbain de la ville.





Justement, vous oscillez le plus souvent entre Mexico et New York. Comment parvenez-vous à organiser votre agence ?

L’agence de Mexico et celle de New York travaillent en étroite collaboration. J’ai deux associées de part et d’autre qui gère localement les bureaux, qui se parlent quotidiennement. Nous utilisons énormément la télé conférence pour communiquer entre nous, ce qui nous permet de gérer le même projet dans les deux studios en même temps.


Et vous n’avez jamais eu de projet en Europe ?

Jamais. Pourtant ça me plairait beaucoup. Mais il est vrai que j’ai déjà un territoire énorme sur lequel je peux m’appliquer. Pour l’instant je me focalise plus sur « les Amériques », et je n’ai pas non plus de projet en Orient. Cela dit, il se peut que je puisse bientôt développer un projet en Italie, qui doit encore être confirmé.


Quelles ont vos projets en cours ?

Nous avons beaucoup de bâtiments en construction. Plusieurs au Mexique et dans l’ensemble des Etats-Unis. A New York, deux chantiers sont en cours, celui de la New York Library à côté du Moma et un complexe de bâtiments public et commercial à Brooklyn. D’autres chantiers sont en cours à Miami, Washington et bien sûr au Mexique, avec notamment des projets publics.


Vous sentez-vous concerné par l’architecture durable ?

Oui, véritablement. Je crois que c’est le socle commun pour tous les architectes. Il s’agit essentiellement de retrouver des vertus que nous avons oublié avec le temps. Ce sont des responsabilités qui semblent nouvelles mais qui ont toujours existés en réalité. Il est indispensable de parler de durabilité environnementale, mais aussi de durabilité sociale. Cela concerne notre manière de se mettre en relation avec notre environnement mais aussi avec les gens, notre manière de nous impliquer dans des catégories sociales diverses. Les générations précédentes ont peut-être oublié d’intégrer ces éléments pour pouvoir réellement former une base commune. La ville doit être pensée sur cette base. On ne peut pas continuer à construire la ville comme on le faisait au XXème siècle.


Dans quel genre de maison avez-vous grandi ?

Dans une maison très basique et conventionnelle. Je suis issu de la classe moyenne mexicaine. La maison de mes parents était une maison typique de Mexico, sans intention particulière, avec un petit jardin. Je n’ai pas le souvenir que mes parents m’aient jamais emmené à une exposition ou dans un musée. Je crois que mon désir d’architecture fut avant tout personnel. Etant enfant, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’architecture. Puis petit à petit j’ai découvert qu’il existait cet espace dans lequel je me sentais à l’aise, et qui me permettait de réaliser des choses.


Propos recueillis par Nicolas Houyoux


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