Un espace immersif
William Kentridge (né en 1955 à Johannesburg ) compte parmi les figures majeures de l’art contemporain à l’échelle internationale. Depuis plus de trente ans, ce plasticien, réalisateur et metteur en scène associe dans son œuvre protéiforme différents médias artistiques : film d’animation, dessin, gravure, mise en scène théâtrale et sculpture. Dans le cadre d’une exposition d’ensemble au Kunstmuseum Basel | Gegenwart, plusieurs œuvres de l’artiste sud-africain sont visibles pour la première fois sur le continent européen jusqu’au 13 octobre 2019. Élaborée en étroite collaboration avec l’artiste, l’exposition présente, aux côtés de dessins et de films des années 1980 et 1990, des travaux plus récents tels que des éléments de la mise en scène intitulée The Head & The Load présentée pour la première fois à la Tate Modern de Londres à l’été 2018.
À la fois cinéaste, metteur en scène de théâtre et d’opéra, dessinateur et graveur, William Kentridge décline, depuis les années 1970, une œuvre multiple qui questionne les enjeux de la politique et le monde économique. L’artiste sud-africain connaît, dans les années 1990, une notoriété internationale grâce à une série de petits films d’animation — qu’il préfère appeler "dessins pour projection" — dépeignant la vie quotidienne à l’époque de l’apartheid. Kentridge est aujourd’hui l’un des rares artistes à pouvoir établir des passerelles entre les arts plastiques, le cinéma et les arts de la scène. Ces dernières années, Kentridge a opéré un profond changement conceptuel en portant un regard réflexif sur son rapport au monde. Faisant référence aux illusions d’optique et aux mécanismes de la perception (anamorphoses, stéréoscopies, …), Kentridge va au-delà des manipulations habituelles de l’animation pour faire surgir un monde conçu comme un théâtre de la mémoire. Ces recherches le conduisent à reconsidérer la spatialité de ses œuvres, qui ne s'apparente pas seulement à un transfert de techniques mais plutôt à l'incorporation d'idées esthétiques qui influence la perception d'un espace réel sujet au changement. De quoi intéresser les architectes qui savent que la perception de l’espace nécessite une construction progressive qui n’existe certainement pas toute faite au commencement du développement mental.
Engagé dans des expériences photographiques, cinématographiques et scénographiques, l’artiste brouille la ligne de force qui relie l’observateur à l’objet, déjouant ou déstabilisant les référents de la spatialité. Il cherche à représenter l’espace en élaborant des principes qui ne relèvent pas de la vision perspective, et instaure de nouvelles logiques spatiales dans lesquelles l’environnement scénique prend le pas sur le plan de la représentation. William Kentridge conçoit et fabrique des dispositifs scénographiques, des prises de vue et de projections, adaptés à de nouvelles conduites créatrices. Dans sa pratique de cinéaste d’animation et de scénographe plasticien, le travail de conception intègre la mise en cause des modèles de référence et des protocoles classiques d’expériences. Il fonde sa pratique de l’animation sur « l’engagement physique », qui passe par le déplacement de l’artiste dans l’atelier ou sur une scène de spectacle, et par la manipulation de bouts de papier et d’objets divers. Ses courts et moyens métrages en stop-motion sont réalisés au charbon ou au fusain sur une même feuille de papier effacée puis retravaillée en surcharge, permettant de conserver les traces de ses dessins antérieurs. Les intentions esthétiques revitalisent le fantasme d’effacer les frontières entre illusion et réalité. Bien que la technique soit presque aussi ancienne que celle de la photographie, ses environnements stéréoscopiques augmentent le sentiment d’immersion du spectateur en sollicitant la participation du corps au sein de l’illusion projective.
Kentridge ouvre aux pratiques adeptes de la "synthèse des arts", aux variétés d'expression, au statut hybride entre expérimentation, construction, œuvre plastique , qui renvoient à des dimensions tant esthétiques que formelles et interdisciplinaires.
