Un fantôme dans la maison
- nhouyoux
- 31 oct. 2022
- 6 min de lecture
Brendan MacFarlane, né en Nouvelle-Zélande et diplômé du Southern California Institute of Architecture de Los Angeles (Sci-Arc) en 1984, est titulaire d'un master de la Harvard Graduate School of Architecture Boston (1990). Il a enseigné à la Bartlett School of Architecture de Londres, à l'Ecole spéciale d'architecture de Paris et au Southern California Institute of Architecture de Los Angeles (2006). Avec Dominique Jakob, il a fondé l'agence Jakob+MacFarlane en 1992, saluée depuis par de nombreuses récompenses et distinctions.

Le travail mené au sein de l’agence explore les technologies digitales à la fois comme apport conceptuel et comme moyen de fabrication, utilisant les nouveaux matériaux comme façon de créer un environnement plus flexible et plus responsable. C’est assurément l’un des bureaux les plus expérimentaux établis à Paris. Parmi leurs réalisations les plus emblématiques, on compte : le restaurant Georges du Centre Georges-Pompidou (2000), la librairie Florence Loewy Books by Artists à Paris (2001), le nouveau centre de communication de Renault (au sein de 57 Métal construit par Vasconi à Boulogne-Billancourt en 2004), la Fondation d’entreprise Ricard (2007), les Docks de Paris – Cité de la mode et du design (2008), les 100 logements Hérold à Paris (2008) ainsi que le Cube Orange, siège social de la société Cardinal et le showroom RBC, à Lyon (2010). L’agence a également réalisé « Les Turbulences », nouveau bâtiment du FRAC Centre à Orléans (2013), le siège mondial d’Euronews à Lyon (2014) et le « conservatoire de Musique et de Danse » à Noisy-le-Sec. Parmi ses projets en cours de réalisation se démarque en outre le réaménagement multiprogramme de la place Maes-en-Boerenboomplein à Knokke-Heist en Belgique.
L’approche de Dominique Jakob et Brendan Macfarlane cherche à réinterpréter le contexte qui entoure chaque projet. Chacune de leurs interventions témoigne d’une recherche attentive sur site et d’une approche conceptuelle de réinterprétation du contexte. L’agence s’est développée par l’exploration des technologies numériques, à la fois comme outil de conception et comme moyen de production. Mais ils sont aussi des scénographes, cherchant à créer du neuf à partir de l’existant, dans une forme de respect des traditions et, pourquoi pas, en vue de favoriser un nouvel humanisme. Conversation au long cours avec Brendan MacFarlane.
Comment vous placer-vous par rapport à la notion de création architecturale ?
L’architecture n’est jamais une rupture. La créativité est toujours une histoire de continuité. La continuité implique parfois des révolutions, mais même ces révolutions s’inscrivent dans la continuité de l’humain. Il n’y a pas de rupture entre les envies d’hier et celles de demain. La notion de rupture est pour moi impossible. Un autre aspect à considérer est l’envie ou non de se situer dans une continuité. Pour notre part la réponse est oui. Tous nos projets sont en référence directe avec le contexte historique et le site dans lequel ils s’implantent. La conception d’un projet relève d’un dialogue constant avec le contexte et les conditions existantes.
Les outils numériques ne sont que des outils. Il n’est pas question de s’y soumettre. Le positionnement se doit de rester humain et critique, créatif et responsable. L’intérêt du numérique est double en architecture. Tout d’abord il permet de modéliser et de fabriquer un projet entier, de la conception à la fabrication, et même jusqu’à impliquer l’usager. Il y a une mise en relation dans un processus continu qui est particulièrement intéressante. Ensuite l’outil numérique touche au langage architectural, et à la liberté qui nous est donnée de le déployer, notamment par l’utilisation de surfaces complexes. Mais on ne peut évidemment pas réduire l’architecture uniquement au langage. L’architecture est l’immense synthèse, la manipulation, la fabrication d’une somme innombrable de facteurs, dont font partie le programme, la structure, l’économie, la lumière,…
Le numérique ne crée donc pas l’architecture, même si cette interprétation existe ou a existé et a constitué un vrai problème, surtout au début de la révolution numérique. Le numérique a seulement apporté la capacité de fabriquer des projets plus complexes. L’exemple du restaurant Georges est illustratif de cette aptitude. Il s’agit d’un des premiers projets numériques dans le monde et sa fabrication a été réalisée par des constructeurs de bateaux de course. Nous avons pu franchir cette étape grâce à l’outil numérique, en le croisant avec des éléments finalement proche de nous.
Comment intégrez-vous l’idée d’interface et de virtualité dans votre démarche ?
L’architecture virtuelle est une proposition spatiale. Nous avons commencé à travailler avec la réalité augmentée pour l’exposition « Augmenting the invisible » à Berlin. C’est une expérience qui reste bien évidemment du domaine de l’architecture. Ce n’est qu’un début, on sent bien que les potentialités sont énormes. Ce qui m’intéresse encore plus, c’est de mêler les deux, c’est-à-dire d’habiter dans une maison, mais qu’il y ait une deuxième maison, invisible, virtuelle, impliquée dans la première. Cette deuxième maison serait perceptible uniquement par les outils numériques, et serait donc comme un fantôme habitant la maison physique.
L’utilité d’un tel dispositif peut être large. Par exemple, à l’intérieur, si je ne veux pas exposer des tableaux ou disposer du mobilier dans le monde physique, mais que je veux que ces éléments soient visibles à l’aide d’un outil numérique. A l’extérieur aussi, si je veux modifier le paysage extérieur ou influencer la perception des conditions météorologiques. Il y a peut-être un moment dans la journée pendant lequel j’ai envie de switcher vers une météo virtuelle ou un paysage virtuel, de la même manière qu’on lit un livre pour se plonger dans un monde parallèle. Tout cela reste du domaine de l’architecture, en intégrant le mouvement, l’espace, l’orientation,… On pourrait également imaginer que ce monde virtuel parallèle soit une plongée dans le passé de la maison physique existante, montrant les aménagements intérieurs qui ont précédé.
La « Maison Connectée » ne préfigure-t-elle pas déjà ces préoccupations ?
La maison connectée en joue en effet déjà sur plusieurs niveaux. Cette connexion est à la fois physique et virtuelle. La maison est connectée sur son site et utilise en même temps tous les outils numériques et domotiques disponibles actuellement. L’idée de connexion est également environnementale, la maison étant connectée au paysage par une pompe à chaleur, divers capteurs,… La présence des arbres a d’ailleurs été marquante dès la première visite du site. C’est une notion qui est restée jusqu’à la conception de la maison, avec l’idée d’un noyau central, d’un anneau intermédiaire et d’une écorce. Enfin, il y a aussi une connexion souterraine incluant la piscine que nous avons établie avec une maison existante restée sur le site.
Il faut également parler de la structure. C’est une structure tridimensionnelle qui porte à la fois la peau du bâtiment et les planchers. Une structure qui va de l’extérieur à l’intérieur, puis qui sort à nouveau. La structure pose la question de la limite de l’architecture. C’est une question qui reste pour nous volontairement ambiguë et ouverte. Cette notion d’architecture infinie existait déjà dans le projet de la cité de la mode et du design par exemple.
Comment avez-vous travaillé avec les maîtres d’ouvrage ?
Les commanditaires voulaient une maison pour la vie. Ils souhaitaient une circulation verticale constituée à la fois d’un escalier et d’un ascenseur. Nous avons cherché les meilleures orientations possibles pour les lieux de vie. Nous avons fait un grand nombre d’études et de modèles, les allers-retours avec les nouveaux propriétaires ont été nombreux. Nous avons travaillé avec tous les moyens de représentations possibles, aussi bien croquis, maquettes ou modèles 3D. Le dessin manuel a des qualités et une force que la représentation numérique n’a pas. La maquette en carton constitue un outil de synthèse qu’un modèle 3D n’atteint pas.
Nous abordons souvent un projet en racontant une histoire, qui donne la raison d’être de notre démarche. La théorie n’est généralement pas le bon moyen de réponse vers un client. Il veut plutôt savoir où il se situe dans le projet, et comment il peut fonctionner dans la nouvelle proposition. Ce sont des questions à la fois simples et extrêmement vastes. Une histoire est généralement un bon élément de base sur lequel on peut revenir régulièrement, pour le faire évoluer.
Comment percevez-vous la plus-value qu’un architecte peut apporter?
Il s’agit seulement de se demander si l’on ne peut pas faire évoluer notre manière d’habiter la planète, de se demander s’il n’existe pas autour de nous de nouveaux outils capables de nous aider dans cette évolution. Moi je pense que oui. Je ne crois pas que l’on utilise ces outils au maximum. Je crois qu’on pourrait aller beaucoup plus loin. Notre rôle, comme architecte, est de prendre tout cela en considération. Nous vivons dans une ère extrêmement intéressante d’un point de vue technologique, et l’évolution n’est pas autre chose qu’une nécessité. Dans la répétition, on stagne. Il faut créer le patrimoine de demain. Chaque projet nous fait progresser, même si l’on n’identifie pas toujours explicitement l’apport d’une réalisation sur les réalisations à venir.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux
Image: Maison Connectée, Jakob+MacFarlane, Boulogne-Billancourt, France, 2016
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