Architecture réactive
- nhouyoux
- 19 sept. 2020
- 2 min de lecture
En 2015 sur la High Line de New York, les passants étaient invités à construire des structures en Lego. L’artiste danois Olafur Eliasson, récemment exposé à la Fondation Louis Vuitton à Paris, avait installé une œuvre participative sur la célèbre promenade plantée du sud de Manhattan. Le public était invité à reconstruire et modifier des structures imaginaires en Lego blancs conçus par de grands architectes. Une dizaine de grands noms avait été choisie pour démarrer ces installations à la toute fin du mois de mai.
Des cabinets comme BIG, Diller Scofidio + Renfro, OMA New York ou Renzo Piano Building Workshop avaient ainsi conçu des structures “visionnaires” pour l’inauguration de cette exposition. Ces bâtiments avaient servi de catalyseur initial à l’installation et avaient évolué selon l’inspiration du public qui pouvait construire et déconstruire à sa guise. Ce projet collaboratif s’inscrivait dans la lignée du travail de Olafur Eliasson qui s’intéresse tout particulièrement à l’expérience du mouvement.
Monotonie de l’aléatoire
Dans ce type de démarche informelle, le profane laisse toute liberté à l’imprévu de la matière et à l’accident. L’aléatoire du geste refuse la maîtrise et le cheminement qui mène de l’idée à l’œuvre finie. C’est une œuvre ouverte que le spectateur peut embrasser librement. L’aventure architecturale est à chaque fois renouvelée, totalement neuve. La spontanéité du geste, l’emploi expressif de la matière, l’absence d’idée préconçue, l’expérience du vécu fait naître la forme. Là où l’habituel tiraillement entre fascination des images et fétichisation du discours, ou l’inverse, semble souvent dicter la logique en matière d’architecture, l’œuvre est ici le lieu et le moment privilégié.
Ce sont les champs de force entre ces constructions temporaires qui désormais créent l’espace. Les formes évacuent dès lors tout compromis et toute harmonie : sculpturales et disloquées, elles s’imposent dans leur contexte. La démarche plastique privilégie nettement le geste créateur de l’espace et relègue au second plan les raisonnements analytiques. C’est le savoir-faire gestuel qui permet ici de sculpter l’esquisse du projet. Le concept spatial est dominé par le concept opérationnel, hasardeux, au point d’en arriver à une monotonie de l’aléatoire.
Car le hasard, hélas, ne suffit pas à la surprise. Le hasard est l’accident, la surprise est l’essentiel. Et ce qui peut véritablement surprendre relève de l’essence, de la façon de s’ouvrir au monde, de la façon de l’habiter. Le véritable projet architectural s’engage nécessairement dans la dynamique de ses nécessaires reformulations. L’initiative individuelle d’un projet doit devenir progressivement une œuvre partagée, le produit de choix concertés. Enrichir de manière raisonnée, améliorer le contexte, transformer les potentialités, formuler une vision, sont autant de manières d’intégrer les mécanismes intrinsèques de la beauté.

« Le beau est toujours bizarre », écrivait Baudelaire, dans la mesure où il questionne véritablement notre conscience. L’architecture enseigne à organiser de manière hiérarchique et dynamique, à documenter ses expériences et à multiplier ses capacités d’apprentissage. Car la notion de lieu change. Nous-mêmes sommes devenus de plus en plus nomades, mobiles, en temps réel et sur demande. Il est question de plasticité architecturale comme de neuroplasticité, d’un cerveau qui se reconfigure de manière continue, de formes randomisées . Dans cette genèse d’une nouvelle architecture, ce réseau complexe émergent de cellules interconnectées, conservons « cette insaisissable architecture que construit la lumière avec le rêve » (Borges). Notre cerveau, notre vie, notre ville.
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