Dans la lumière de Piano
- nhouyoux
- 19 sept. 2020
- 3 min de lecture
Une visite dans l’atelier de Renzo Piano constitue une expérience à la fois surprenante et troublante. A l’arrivée, l'agence est invisible. On ne peut y accéder que par un funiculaire de verre qui vous transporte en hauteur le long des terrasses cultivées et vous éloigne petit à petit du rivage. Au loin, on perçoit encore les cargos et les voiliers, avant de rejoindre silencieusement ce refuge transparent dissimulé dans la végétation.
L’atelier de Punta Nave (la pointe du navire), accroché au roc de la côte génoise, est une immense serre de verre qui épouse la pente de la colline. Le bâtiment abrite l’antenne italienne de l’agence Renzo Piano Building Workshop. Elle est érigée sur un site exceptionnel : un terrain pentu et escarpé, à pic au-dessus de la mer. Piano y développa aussi une plantation de bambous en partenariat avec le centre de recherche de l’UNESCO, ce qui lui valut d’obtenir le permis de construire sur cette zone côtière hautement protégée. Il souhaitait un lieu invitant au calme, à la concentration et à la créativité. La construction, noyée dans la végétation, présente un profil en escalier descendant en cascade vers la mer, et s’inspire du modèle de serres typiques de cette côte ligurienne. La structure est faite d’une charpente de bois lamellé-collé posée sur de minces portants de métal.
Punta Nave est un lieu de travail singulier: il est un refuge protégé proche de la nature mais il est en même temps un lieu sophistiqué de communication et de mise en réseaux d’individus et d’informations. « L'atelier est fait d'espace, de soleil et de nature, comme le théorisait Le Corbusier, mais il est ouvert sur le monde grâce à des communications télématiques instantanées, explique Renzo Piano.
Tout, dans son atelier, évoque la mer: le bois verni, le mobilier de bateau. En travaillant ici, écrit Renzo Piano dans son « Carnet de travail », on touche à une forme de recueillement particulier, liée au contact avec la nature, le climat, les saisons. C'est un élément immatériel que l'architecture a capturé. Notre lumière est une horloge naturelle : elle change avec l'heure et le climat en donnant des couleurs différentes aux murs, aux tables de travail, aux objets. Les lamelles du toit découpent des ombres, donnant un grain variable à toutes les surfaces. »
Piano est avant tout un homme de chantiers : il enchaîne les réunions avec plaisir, sait convaincre ses détracteurs avec humour. «J'ai grandi sur les chantiers de mon père. C'était l'émerveillement quotidien. Mon père était capable de transformer la matière, sable, béton, en forme. Les chantiers, c'est le miracle de la construction.» Pour Renzo Piano, les trois qualités essentielles de l’architecte sont la curiosité, la désobéissance et l’imprudence pour expérimenter, inventer, créer. « Les gens sont les miroirs des bâtiments », affirme-t-il. « Je me rappelle en 1977 à Paris, lors d’un tournage au centre Pompidou, Roberto Rossellini m’a dit : ‘Tu te trompes à regarder l’architecture, il faut regarder le visage des gens.’ Alors depuis, je me cache derrière les poteaux pour les observer lors de mes visites occasionnelles en famille le dimanche !».
Les zones de travail suivent la ligne de la pente et sont organisées sur différents niveaux: en plus de créer différentes séquences d'espaces, cette solution permet également de profiter à tous les niveaux de la vue sur le paysage environnant et le bord de mer. L'espace n'a pas de hiérarchie ni de barrières intrinsèques: les architectes, les clients, les étudiants et le personnel technique sont tous réunis sous le même toit et sont visibles les uns des autres à partir des différents niveaux du bâtiment. La végétation est également l'un des composants essentiels de l'espace. Les terrasses confèrent à l’endroit sa forme distinctive. Les plantes qui entourent et pénètrent le bâtiment sont clairement visibles à travers les murs de verre. La végétation sert également comme mode de partition des espaces intérieurs. La nature pénètre ici la construction, au point que l’espace intérieur se mette à vivre au rythme des « caprices du temps ». La promenade à travers le paysage avant d’entrer au sein du bâtiment fait perdre au visiteur jusqu’à la notion de seuil. Le passage entre extérieur et intérieur est tellement progressif qu’il ne se préoccupe plus du moment où il en enfin « entré ».

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