Construire le vide
- nhouyoux
- 22 sept. 2022
- 4 min de lecture
Vingt ans après la création de leur agence et dix ans après avoir reçu le Prix culturel flamand de l'Architecture, Ralf Coussée et Klaas Goris remportent le concours pour la construction de la bibliothèque municipale De Krook à Gand, en collaboration avec RCR architects (Prix Pritzker 2017). Les architectes recherchent la simplicité dans leur langage et une grande précision constructive ; la main du concepteur reste toujours visible. Un positionnement entre les dimensions humaine et matérielle est essentiel pour la réussite de leurs projets.
Des réalisations récentes comme la galerie d'art Zeno X à Anvers, le crématorium à Holsbeek ou le centre de visiteurs du Zwin, de même que l’exposition « Natura Naturans » l’année dernière, dans laquelle ils présentent un panorama de leur travail, soulignent l'importance du paysage environnant, l'inspiration puisée chez les artistes contemporains et l’idée que le gros œuvre fasse le projet.
Comment abordez-vous les dimensions parfois antagonistes d’un projet ?
Ce qui nous intéresse particulièrement est la force que l’architecture peut apporter à son environnement, qu’il soit urbain ou naturel. Au-delà du programme, au-delà de la structure, il faut que l’architecture puisse signifier quelque chose, en relation avec l’endroit où elle est produite. Cela part du principe, pas toujours si évident, que l’architecture peut et doit apporter une plus-value à l’environnement dans lequel elle s’installe. Nous recherchons donc des propositions et des programmes qui puissent permettre un tel type de réalisation. Par exemple, nous ne participerons à priori jamais à un projet de prison, à moins d’ouvrir le débat sur la signification qu’un tel bâtiment peut avoir.
Pour le moment nous avons essentiellement des projets publics. Nous avons débuté avec des constructions assez limitées, mais après 2006 et la sortie de notre première monographie, nous avons pu obtenir des projets plus importants. Le prochain projet réalisé sera la centrale électrique de Zwevegem, que nous avons débuté en 2003 en collaboration avec RCR Architects, autant dire qu’il s’agit d’un projet très attendu en ce qui nous concerne. Ce projet de réhabilitation est lui aussi un bon exemple de ce qui nous intéresse, c’est-à-dire la place de l’usager dans un nouvel environnement construit.
Qu’en est-il de la nouvelle bibliothèque ?
Pour ce qui concerne la bibliothèque municipale de Gand, la signification de ce nouveau bâtiment dans le centre de la ville a été la question primordiale. Nous voulions un bâtiment qui soit construit en une seule phase. Nous souhaitions intégrer la phase de finitions dans le gros-œuvre. Ce principe permet aussi d’augmenter la durabilité du bâtiment. Il faut savoir que dans la durée de vie d’un édifice, le coût de construction est négligeable par rapport au coût de l’entretien et du renouvellement des aménagements intérieurs. On ne retrouve pas de plinthe dans la nouvelle bibliothèque, pas de peinture, ou très peu, et pas de finitions coûteuses. C’est une idée qui nous est venue sur des chantiers antérieurs, quand nous avons constaté que des gros œuvres fermés intégraient parfois plus de qualités esthétiques que des projets finis.
Comment avez-vous défini son intégration dans la ville ?
Nous travaillons depuis 25 ans avec l’ingénieur Guy Mouton. Nous avons évolué ensemble. La lisibilité du bâtiment est une préoccupation partagée. C’est la structure du bâtiment, et non le détail, qui doit exprimer les intentions initiales. Cette lisibilité se fait dans un paysage urbain qui a une histoire. La nouvelle construction ajoute donc une strate historique à cette histoire initiale, dont il faut évidemment tenir compte. Gand est une ville médiévale, il y a pourtant peu de constructions médiévales qui ont persisté dans la ville. C’est dans sa trame et ses vides que l’on retrouve cette structure typiquement médiévale. Nous avons travaillé avec cette trame. La bibliothèque n’est donc pas un monolithe, c’est un bâtiment fluide dans lequel l’air peut passer. Nous avons cherché à faire une connexion avec le vide. Le paysage de la ville n’est pas le bâti, c’est le vide entre le bâti.
Comment s’est déroulé la collaboration avec RCR architects ?
Nous avons fait la connaissance de RCR architects vers 1995, lors d’un concours européen. Nous avions chacun gagné un prix. On se voyait régulièrement, sans qu’aucune collaboration professionnelle n’ait lieu, bien qu’on sentait des affinités. Nous avons donc décidé après 10 ans de faire le concours du crématoire ensemble. Comme tout s’était bien déroulé, nous avons entamé le concours de la bibliothèque, et nous achevons maintenant le projet de la centrale électrique ensemble. Nous pensons vraiment qu’il est possible d’approfondir notre vision de l’architecture en travaillant ensemble. Nous nous sommes beaucoup rencontré en phase de conception de la nouvelle bibliothèque, mais la résolution des problèmes conceptuels est généralement assez rapide, tant il y a une bonne synergie entre nous. D’ailleurs, comme nous travaillons beaucoup avec des artistes, nous cherchons maintenant à nous inclure dans un projet de musée, n’ayant pas été retenu pour le projet Citroën.

Comment avez-vous pris en compte les usagers ?
La nouvelle bibliothèque ne se veut pas une bibliothèque scientifique. C’est un lieu de rencontre, une articulation de ville. C’est un lieu dans lequel l’usager peut se confronter à de nouvelles idées, s’informer, discuter. C’est un balcon sur la ville. Il est entièrement vitré, avec une structure extérieure pour régenter la lumière et faire circuler l’air. Le bâtiment est plié, ce qui permet de ne pas percevoir immédiatement toute la longueur du bâti. Nous l’avons voulu fluide, comme la rivière, pour qu’il puisse est un point de rencontre dans la ville. Un troisième pont de liaison sera d’ailleurs bientôt construit, pour renforcer encore plus les liens avec le contexte urbain.
Vous êtes enseignant vous-même, comment présentez-vous la profession d’architecte à vos étudiant ?
Le métier devient de plus en plus compliqué, au point où je me demande si on pourra encore former des gens suffisamment résistant à toutes les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’architecte. Cela devient non seulement plus complexe, mais aussi de plus en plus coûteux. Les bâtiment deviennent des produits high-tech, mais de façon excessive. Il faudrait moins de règle et plus de conscientisation, voire d’interdiction, seulement si c’est vraiment nécessaire, notamment sur l’emploi et la composition des matériaux. Cela permettrait aux architecte de faire leur travail, c’est-à-dire de trouver des parades, des solutions de rechange vers des matériaux plus naturels et des usages plus respectueux de l’environnement. Il est inimaginable que l’on puisse encore produire du PVC ou du polyuréthane dans des quantités aussi énormes. Il y a là une responsabilité à prendre. Ces produits ne devraient pouvoir être utilisés que dans certaines conditions strictes, quand toute autre solution est impossible.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux
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