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L'architecture au-delà des murs

  • nhouyoux
  • 22 sept. 2022
  • 4 min de lecture

L’art urbain peut-il devenir une composante du projet urbain ? Une association entre architectes et artistes urbains est-elle une solution future pour faire la ville ? Comment penser le rapport entre art urbain et projets architecturaux ?

Qu’il soit apprécié ou vivement contesté, le graffiti fait partie intégrante de l’espace urbain et entretient un rapport complexe avec la ville, comme avec l’architecture. Provocatif, le graffiti s’exerce à l’origine dans la clandestinité, avant que les artistes n’acquièrent petit à petit, selon que les élus laissent plus ou moins de liberté et coordonnent plus ou moins les interventions, une reconnaissance de la part des institutions et du marché privé.

Cette forme d’appropriation de l’espace urbain fait désormais l’objet de commandes publiques, et participe à l’attractivité de certains quartiers et à la création de liens entre les habitants. Et alors qu’on pourrait penser que ces interventions se cantonnent dans les territoires délaissés ou souffrant d’une image négative, une œuvre monumentale dressée dans les beaux quartiers à proximité du bois de la Cambre à Bruxelles nous invite à reconsidérer l’art urbain dans ses capacités à fabriquer du paysage.

En collaboration avec le gestionnaire immobilier AG Real Estate, l’œuvre s’est déployée sur les 4.000 m² de façades de l’IT Tower et constitue désormais la plus grande œuvre imprimée sur support autocollant en Europe. Réalisée par les artistes bruxellois ALVARI, KOOL KOOR et MINO1 et intitulée «Ground Up», elle a été découpée en plusieurs «stickers» et a été placée par l’alpiniste Luc Dethine.

ALVARI a grandi à New York, dans un milieu hyper urbain. En rentrant en Belgique, dans les années 80, il avait déjà l’intention de faire du graffiti un art à part entière. Rencontre.


Comment avez-vous abouti à ces formes fluides et quasi organiques dans vos dessins, qui font penser à certaines architectures contemporaines ?

Le dessin a toujours eu pour moi une fonction rassurante. J’ai recours au dessin automatique pour réfléchir, pour me concentrer. Les meilleures images pour évoquer mes dessins pourraient être l’arbre ou la vague : des formes en évolution constantes, dans un rythme permanent. Je perçois la réalisation d’une œuvre graphique comme un parcours, fluide, changeant, ce qui se traduit dans le langage esthétique final.


Quels sont les supports les mieux adaptés dans la ville pour vos interventions ?

Je pars du principe que tous les supports qui me sont proposés contiennent des solutions envisageables pour moi. Ce que je cherche à éviter à tout prix, c’est la décoration ou l’ornementation, et j’adapte ma technique et le processus de réalisation au support qui m’est proposé. J’ai une préférence pour la carte blanche : un commanditaire peut se référer à un élément particulier de mon travail pour générer une impulsion de départ mais je veux rester fidèle à l’instant présent, au parcours en temps réel que me dictent le support et les contraintes de la commande.

Le commanditaire prend donc aussi une part du risque, et il devient dès lors actif dans le processus créatif, dans le lâcher prise qu’impose la réalisation de l’œuvre. C’est nettement plus enrichissant.


A quelle fréquence intervenez-vous dans l’espace public ?

Je dirais 2 ou 3 fois par an. Comme tout se fait en parfaite légalité, tout prend plus de temps. Dans de nombreux cas des permis sont nécessaires. Pour la tour IT, nous avons fait une demande de permis, nous avons dû déposer des copies en plan du dessin à réaliser, et nous avons défendu le projet avec le client en commission de concertation.


Vos dessins invitent à la profondeur spatiale, à la 3ème dimension. Avez-vous un jour l’intention de sortir du plan ?

Je fantasme sur l’idée de faire des sculptures. Il faudrait pour cela pouvoir expérimenter certaines matières. J’ai déjà réalisé des bas-reliefs, notamment en bois, pour figurer les 5 arrondissements de New York. J’y avais ajouté pour la première fois la couleur fluo, mais de manière sous-jacente, discrète, presque invisible, pour accentuer la profondeur et le relief. J’aime l’idée d’insuffler la vie à quelque chose d’inerte, par la lumière, la couleur ou un dispositif particulier.

J’ai aussi une admiration pour Jean Dubuffet, pour sa capacité à faire vibrer la matière notamment dans ses sculptures new-yorkaises qui ont marqués mon enfance.


En quoi la réalisation de «Ground Up» par un commanditaire privé est-elle différente ?

Quand AG Real Estate m’a contacté pour la réalisation de la tour IT, c’était aussi dans l’optique de montrer que le secteur immobilier n’est pas nécessairement déconnecté des réalités de l’art urbain. C’est une manière de proposer des ponts entre le monde artistique urbain et le monde de la construction. Les artistes urbains aiment les murs, et le secteur immobilier en a, alors le lien devrait se faire naturellement, au-delà d’une contestation qui reste parfois légitime. Je crois qu’il est important de dégager les aspects positifs de nos métiers et de nos pratiques, pour engendrer un dialogue.

J’aime aussi l’idée de créer un pont de conversation entre différents milieux sociaux par mon travail, entre des univers à priori incompatibles.


Bruxelles est-elle inspirante pour un artiste urbain?

C’est le caractère labyrinthique de Bruxelles qui m’inspire. Une ville qui se voit plus du bas que du haut. Une ville qui présente peu de perspectives ouvertes et dont les rues ont une dominante perpendiculaire. C’est comme dans le dessin de Franquin, avec le prisonnier qu’on lâche sur une planète entièrement couverte d’un labyrinthe. Bruxelles inspire la représentation d’une ville dont on sort difficilement.


Avez-vous déjà eu des collaborations avec des architectes ?

Oui, j’ai déjà collaboré avec plusieurs architectes d’intérieurs dont Caroline Notté, pour ne citer qu’elle. Je suis convaincu qu’une collaboration entre architecte et plasticien, en amont d’un projet, peut être très intéressante. L’artiste pourrait jouer un rôle important dans une vraie connivence avec l’architecte. J’ai par exemple été impressionné par les nœuds entre deux murs de Daniel Arsham, ou par des interventions de l’artiste Richard Wilson, notamment ‘Turning the Place Over’. Certaines interventions d’Anish Kapoor, dont la France est friande, sont aussi très intéressantes. Je pense par exemple au Grand Palais à Paris. Ou encore Olafur Eliasson, pour la fondation LVMH. L’essentiel est de ne pas intervenir comme un décorateur, comme une pièce rapportée qui serait absente de signification.


Propos recueillis par Nicolas Houyoux


 
 
 

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