Un paysage mental
- nhouyoux
- 22 sept. 2022
- 4 min de lecture
A travers ses œuvres picturales et sculpturales, Philippe Decelle centre principalement son travail sur les structures géométriques et un vocabulaire esthétique proche du design et de l'engineering, pour aboutir à une poésie propre. Il explore les rythmes séquentiels de l’architecture et des paysages. La série et la mise en abîme des formes fondent une approche personnelle de la lumière et des couleurs dans une arithmétique rigoureuse.
En plus de son travail de plasticien, Philippe Decelle collectionne depuis 1974 des pièces en verre opalescent produites en majeure partie en France durant la période art déco. A partir de 1987 il décide de constituer une large collection d'objets en plastique conçus par les designers européens dès 1957. Exposée dans un premier temps dans un espace privé – le Plasticarium – la collection est acquise par l'Atomium qui crée à partir de ce patrimoine le musée ADAM (ADAM – Brussels Design Museum) en 2014. Rencontre.
Comment votre travail s’élabore- t-il ? Y a-t-il un cheminement « architectural » du croquis à l’espace pictural final ?
J’ai commencé à peindre dès l’âge de 16 ans. Je travaillais essentiellement avec du papier quadrillé. Tout est toujours très construit. Je réduis le thème que j’ai choisi à une forme d’épure, qui va permettre au sujet de se libérer du lieu d’inspiration.
Même si la composition est très architecturée, ce travail d’épure permet de se défaire des contraintes généralement liées au travail de l’architecte. Derrière la géométrie, il y a aussi la notion de rythme qui est essentielle. Ce rythme est aussi généré par les couleurs, qui sont différentes pour chaque tableau.
Mais comme pour l’architecture, la peinture finale n’est exécutée que quand toute la composition et la conception est réalisée, par croquis et dessins préparatoires.
Y a-t-il trois dimensions dans vos œuvres ?
Au départ, la troisième dimension de mes tableaux émergeait de la superposition des formes et de la transparence. Petit à petit, la différence de couleurs des traits délimitant les formes a également apporté de la profondeur au rendu final. Il y a une psychologie de la couleur, qui correspond à différentes impressions que l’on peut accentuer et moduler.
Acceptez-vous la définition de peinture minimaliste ?
J’ai une philosophie très Zen, je recherche le caractère essentiel dans ce que je perçois. Ce qui m’intéresse, c’est de me débarrasser du superflu par la géométrie, pour engendrer la poésie. En matière de sciences, on retrouve cette idée de l’essentiel dans l’étude des fractales, qui est un rapport d’échelle également générateur de sens. Je veux aller au-delà de ce qui est vu, ce qui est en soi une démarche qu’on pourrait qualifier de minimaliste.
Quels sont vos matériaux de prédilections ?
En peinture, l’émail de carrosserie de voiture est mon matériau de base pour les couleurs. J’aime quand la matière joue avec la lumière. Le plexiglas ou le verre opalin sont des matériaux fantastiques dans la mesure où la matière s’associe presque idéalement avec la lumière.
Quelle est l’architecture qui a votre préférence ?
Brasilia m’impressionne depuis l’enfance, et aussi le Walt Disney Concert Hall de Gehry à Los Angeles. Il y a là aussi l’idée prédominante de l’épure. J’associe très volontiers architecture et musique. Bach est incontestablement mon compositeur préféré, mais plus pour une question de rythme que tout autre chose. Je recherche une forme d’absolu.
Vous avez également investi de nombreux lieux emblématiques avec vos œuvres, comme une station de métro ou l’aéroport de Bruxelles. Comment inscrivez-vous vos œuvres dans ces lieux particuliers ?
Concernant la station de métro Heysel, l’idée m’est venue en regardant le plafond suite à une maladie qui m’a obligé à garder le lit. Je trouvais que les plafonds étaient généralement délaissés dans les lieux publics, au profit des murs. C’est une des rares œuvres du métro qui n’a pas été abimée. Pour l’aéroport, j’ai utilisé la technique du plexi gravé dont on éclaire la tranche pour révéler le motif. En superposant plusieurs plaques, les couleurs jouent avec la transparence de l’ensemble. L’intérêt de l’installation était que les passants traversaient l’œuvre, pour s’en imprégner de manière physique.
Vous êtes aussi un collectionneur presque compulsif. Votre maison ressemble à un musée. D’où vous vient cette nécessité ?
Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la matière. J’ai beaucoup collectionné, au départ divers objets sans intérêt. Puis, avec mon premier salaire, à la place du Jeux de Balle, j’ai acheté mon premier verre opalescent. A chaque fois, ce qui me passionne, c’est de faire des recherches, jusqu’à écrire un catalogue. Ce fut la même chose pour les objets design plastiques, dont toute la collection a été cédée au musée du Design de Bruxelles. Le plastique, si décrié aujourd’hui, a pourtant été le matériau du XXème siècle. Il a pu fournir un design de qualité à bas prix pour la classe moyenne.
Simultanément à la réalisation de mes peintures, je réalise également un catalogue reprenant les miniatures de ces œuvres, accompagnées des croquis et des études. Ces miniatures sont produites avec les mêmes matériaux que la peinture originale. C’est une manière de cataloguer ma vie.

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