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‘Nous avons un côté baroque’

La Fondation Blan est née. Le but de cette fondation n’est pas seulement d’attirer un public averti, mais d’être un lieu de rencontre et de création, un lieu où la parole s’exprime. Elle propose également une résidence pour accueillir des artistes nationaux et internationaux, consacrée à la création et à la recherche artistique.

Créée par Thomas de Wouters d’Oplinter, elle vient d’ouvrir ses portes dans un hôtel de maître restauré et réhabilité et met harmonieusement les œuvres en valeur tout en respectant le bâti. Caractère unique : le bâtiment est surmonté par un cube contemporain presque flottant qui surplombe un jardin sur le toit. La fondation offre ainsi des lieux privilégiés et exclusifs pour ses multiples activités artistiques.

Cet écrin classique/contemporain rassemble, jusqu’au 1er juillet, dans onze salles, une exposition du peintre Stephan Balleux, qui considère le médium Peinture comme un personnage à part entière, un être vivant doué de conscience. C’est donc ce nouveau personnage qui investit les lieux pour la première fois, et il le fait magnifiquement.

Rencontre croisée avec l’initiateur et le créateur.

Comment ce projet a-t-il débuté ?

Thomas de Wouters : J’avais le besoin de recommencer tout à zéro. Le jour même où j’ai vendu ma maison, quelqu’un m’a parlé de ce lieu à Bruxelles. Les promoteurs avaient déjà proposé trois projets qui avaient tous été refusés, le dernier datant de 2019. Lors de ma première visite du bâtiment, après être monté sur le toit, j’ai levé les yeux au ciel et j’ai vu les deux bâtiments mitoyens comme deux flèches vers les nuages. C’est à ce moment-là qu’a surgit l’idée d’un cube en suspension et d’un jardin. J’avais vendu ma maison le dimanche, visité le bâtiment le mardi matin, j’ai fait une offre le lendemain valable 48h, et un compromis a été signé le vendredi. Le permis a été introduit en juillet 2019, il a été délivré un an et demi plus tard. Des travaux conservatoires ont été réalisés dans l’intervalle, plus de 200 agrafes ont été ajoutées en raison de nombreuses fissures dans le bâtiment.

J’avais expliqué à l’urbanisme que la typologie est finalement la même que pour la maison urbaine bruxelloise type, avec la maison principale, le jardin et la maison arrière, mais mis à la verticale. Ici on a la résidence du bas, le jardin au milieu et la maison du haut. Le jardin a autant d’importance que le reste du bâtiment. L’ascenseur fait le lien entre l’ancien et le nouveau.


Comment s’opère le lien entre le bâtiment et l’exposition?

Stephan Balleux : J’ai eu la possibilité d’investir le lieu de la cave jusqu’au jardin. J’ai une orientation un peu baroque, avec une tendance à un certain foisonnement. Ces espaces permettent une grande variété de dispositifs, du plus intimiste au plus grandiloquent. Je peux dès lors montrer une étendue plus large des questions que je pose et des techniques que j’utilise.

J’ai un rapport à l’espace qui rejoint l’imaginaire. J’utilise d’ailleurs souvent des images d’architecture anciennes dans mes compositions, pour bien montrer que tout ne vient pas de moi, que j’agis sur de l’existant. Je trouve souvent ces images par hasard, car le hasard ajoute une émotion que l’on peut retrouver dans le travail final, comme quand on ouvre une caisse en carton et que l’on découvre son contenu.

Thomas de Wouters : J’ai une collection d’art que je qualifierais de modeste, avec des artistes que je connais personnellement pour la plupart, parce qu’ils ont quelque chose à dire. Stephan Balleux fait maintenant partie de ceux-là. Il a réalisé en 2021 une grande exposition au Botanique, et dans trois autres lieux simultanément. Je lui ai proposé d’inaugurer la fondation par une exposition de ses œuvres, et d’investir le jardin par une bâche qui soit un signal sur la ville, lui qui est un habitué des œuvres de très grande dimension.

Je rejoins totalement Stephan sur l’idée du baroque. On propose une nouvelle typologie urbaine, mais on pervertit aussi l’idée de rentabilité. J’ai parlé d’anti-densité lors de la remise du dossier de permis d’urbanisme. J’ai racheté le projet à des promoteurs qui avaient tenté un projet de densité, de remplir la dent creuse, avec une crèche et des kots étudiant dont certains étaient sans fenêtre. Il devait y avoir potentiellement 100 personnes dans le bâtiment. J’ai choisi de faire exactement le contraire.


Tout en ne sachant pas si ce projet allait être réalisable ?

Thomas de Wouters : Absolument pas. D’ailleurs si j’avais cherché à le savoir, je ne l’aurais peut-être pas acheté. Je n’ai jamais imaginé que cela puisse être refusé. Je suis allé voir Luc Schuiten qui a prolongé mon inspiration en me faisant une première esquisse. François Laloux, avec l’appui de l’architecte Jacques Ceyssens, a dessiné les plans et fait aboutir la réalisation du projet. C’est aussi un projet très environnemental, avec du photovoltaïque qui alimente une pompe à chaleur qui sert à l’ensemble du bâtiment. Son orientation est aussi optimale, avec un positionnement à l’ouest qui dépend de la profondeur du bâti des deux voisins, et qui s’avère convenir parfaitement aux nécessités du projet.

Stephan Balleux : Le lieu me fait penser au roman de Huysmans, ‘A rebours’. Cette notion de contrepied correspond bien à mon travail, qui propose souvent une image et son contraire à la fois. J’aime me placer à la limite, pour voir ce qui peut se dégager devant moi.

L’exposition est pensée en fonction des espaces proposés. Certaines figures se répètent dans les différentes chambres et proposent un lien par la mémoire, un lien spatial. Incorporer mon travail dans l’espace est l’énergie première. Chaque lieu est spécifique, et exige un temps de réponse plus ou moins important pour y inclure mon travail. La grande bâche à l’extérieur, par exemple, a suscité une plus longue réflexion. J’ai l’habitude des très grands formats, une de mes dernières expositions présentait une peinture à l’acrylique de 3 mètres sur 60 mètres. Dans ce cas-ci, on retrouve un lien mémoriel entre la bâche à l’extérieur et le marbre qui a servi à sa conception, qui se trouve exposée au sous-sol.


Les espaces intérieurs sont aussi très aboutis…

Thomas de Wouters : Je suis fan du design des années 60 et 70, j’ai pu intégrer un escalier de Roger Talon et un Gyrofocus de Imbert dans le cube au 9ème étage. Je voulais avoir une vue sur le moindre détail. La chambre et la salle de bain ont donné lieu à beaucoup d’esquisses avant de prendre une décision finale pour leur aménagement. Il y avait aussi des contraintes techniques, comme pour les plafonds qui intègrent un circuit de refroidissement dont il faut tenir compte pour le placement des luminaires. Les espaces d’exposition, quant à eux, ont été rénovés scrupuleusement dans leur caractère initial. Nous avons ajouté des isolations acoustiques sur les mitoyens, ce qui a nécessité de refaire les moulures du plafond à l’identique. L’espace proposé est multiple, ce qui permet une grande variété de compositions spatiales pour les expositions.

Stephan Balleux : Je reste un novice en architecture. Mais j’ai eu l’occasion de produire des tableaux qui sont une réponse directe à l’architecture, notamment à Liège au musée de La Boverie. J’ai proposé un tableau qui traverse une cloison vitrée, que j’ai intitulé Norvins, du nom de la rue du Passe-Muraille. Comme l’architecture, la peinture est un objet qui doit être vu ‘en vrai’.

Ici, c’est sans doute une de mes meilleures expositions, le lieu aidant à présenter mon travail avec clarté. Je peux présenter l’entièreté de mon parcours, par des fragments, dans le même écrin. Thomas est peut-être plus baroque que moi, il aime les choses inclassables.


Quels sont les buts principaux de cette nouvelle fondation ?

Thomas de Wouters : La fondation Blan est avant tout un lieu. C’est un lieu de vie, un lieu de création, et un lieu de rencontre. On y trouve une résidence d’artistes, des ateliers d’artistes, on y organisera régulièrement des évènements autour de ces artistes, en y intégrant toutes les formes d’art, de la poésie au jazz. J’aimerais un lieu foisonnant, éclectique, qui favorise la rencontre ; un lieu dynamique qui pose des questions, et qui pousse les visiteurs à s’interroger. C’est un peu l’idée des salons d’autrefois, où l’on pouvait croiser des gens de tous les horizons.

Au niveau de la programmation, j’aimerais travailler essentiellement sur la notion du sens et la notion du beau. Le sens pour revitaliser l’esprit critique, et le beau comme parti pris. Je veux que l’on conserve cette relation au beau dans la fondation, parce que l’enchantement est nécessaire et qu’il passe par le beau. On est en plein dans ces notions avec l’exposition de Stephan Balleux.

Stephan Balleux : Le lieu était en accord avec les images que j’ai produit depuis une dizaine d’années, et en particulier celles qui incluent des figures d’hôtels anciens, dans une sorte de mise en abîme. La construction du cube en hauteur, contemporain, qui renouvelle la perception de l’ancien, est comparable aux intentions que je tente d’insuffler dans mes images, mais aussi dans leur agencement. La pièce qui regroupe quatre portraits de femme identiques avec des oiseaux en est une bonne illustration. La pièce est vraisemblablement trop petite pour contenir autant d’images, ce qui crée un certain malaise, auquel s’ajoutent les figures similaires et énigmatiques. La répétition ajoute à l’étrangeté, de même que le rapport d’échelle.

Mes peintures sont des pièges, pour attirer un éventail très large de spectateurs, du plus averti au plus néophyte, et pour le confronter à une image. Je reste un féru d’archéologie et d’histoire de l’art, et je conserve une fascination pour les peintres anciens, mais ma manière de me confronter au présent est contemporaine. Je suis contemporain parce que je prends en compte les différents modes d’existence, par la fluidité.

Comment le jardin est-il constitué, dans son positionnement insolite ?

Thomas de Wouters : Il y a des arbres à hautes tiges dans 1 mètre de terre, des plantes grimpantes, des arbustes de plusieurs essences. La végétation va envahir petit à petit le jardin suspendu. Des rails spéciaux ont été implantés pour permettre au jardinier de travailler avec un baudrier. Le jardin propose une ouverture sur la ville, dans les deux sens, pour permettre aussi aux passants de regarder une fenêtre supplémentaire, végétale ou artistique. Le projet refuse l’enfermement sur soi, il est le contraire, en misant sur ce qui ouvre sur l’espace urbain. Un dispositif a également été prévu pour tendre la bâche, qui sera directement en lien avec les artistes exposés à la fondation. La hauteur de la bâche est calculée pour être totalement visible de l’arrêt de tram en contrebas.


Et pour ce qui concerne le financement de la fondation?

Thomas de Wouters : Pour l’instant je me laisse d’abord porter par la magie, je suis au fond un rêveur, même si ces questions se posent immanquablement. Je ne manquerai pas de me les poser, mais plus tard. Je ne veux certainement pas abimer l’esprit de la fondation. La rémunération des artistes, les frais de fonctionnement du lieu sont des éléments importants qui doivent être considérés en regard de l’image de la fondation que l’on propose. Il y a déjà plusieurs propositions qui me sont parvenues, mais je vais prendre le temps d’y réfléchir.


Comment introduire l’idée de l’espace dans une peinture ?

Stephan Balleux : Mon travail est lié aux documents que je trouve, qui peuvent se retrouver dans une peinture, un dessin, une video, une sculpture… Je fais référence à la tradition mnémotechnique antique, qui chez Cicéron en particulier, dépend d’une conception spatiale de la mémoire. On dépose par exemple mentalement une série d’objet dans une maison imaginaire, ce qui permet une meilleure mémorisation de ces objets. Il en est de même pour les éléments d’un discours. L’ars memoriae était particulièrement développé dans l’Antiquité, où les orateurs tiraient leur prestige de discours très longs et très travaillés. J’ai toujours trouvé que c’était une allégorie du processus artistique, qui évolue par fragments d’un même continuum, et qui ne peut être compris que dans la mémoire du processus complet. C’est ce que j’ai matérialisé en 3D dans une vidéo qui s’intitule ‘Arena’, que l’on peut voir dans l’exposition.


Comment qualifierez-vous la fluidité qui transparaît dans vos images ?

Stephan Balleux : Les formes fluides et dynamiques sont souvent évocatrices, au-delà de leur réalité propre, c’est un peu la paréidolie qui donne l’impression de voir un visage au milieu d’un nuage. Le mystère vient aussi de la réunion d’éléments contradictoires, dans l’assemblage de figures réalistes mais impossibles. Mais il ne faut pas que cet assemblage soit intelligible, sinon l’évocation se perd. Le tableau mêlant le silex et l’intérieur d’un hôtel parisien en est une bonne illustration. Le silex est une des premières figures esthétiques connue de l’humain, et je l’ai peint de manière fluide, presque liquide. Le code couleur du silex, sa forme, font penser à de la pierre, mais le traitement pictural est celui d’un élément liquide. On peut y voir des vagues, des éléments mouvants.

J’ai beaucoup joué avec la production d’images en peinture, notamment dans le traitement des flous que l’on retrouve généralement dans la photographie ou dans le cinéma. Je cherche à perdre le spectateur, j’allais parfois jusqu’à effacer toutes les traces de pinceau. La beauté du flou vient de ce qu’il faut mettre très peu pour évoquer beaucoup, jusqu’à l’abstraction. Mes tableaux plus abstraits sont en réalité des images de l’abstraction.

Il est nécessaire de proposer un espace au spectateur pour favoriser son interprétation, mais aussi pour le dérouter. Il peut y avoir une place manquante dans l’espace proposé, mais il faut aussi que l’ensemble tienne.


Propos recueillis par Nicolas Houyoux



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