Prendre position
- nhouyoux
- 28 oct. 2022
- 3 min de lecture
Lina Ghotmeh est architecte, fondatrice de Lina Ghotmeh Architecture, un atelier international basé à Paris. Innovants, les travaux de Lina Ghotmeh se déploient sur des échelles et des géographies multiples — de la conception d’objets à l’architecture de musées, en France comme au Japon. Telle une Archéologie du futur, chaque projet émerge comme matière de dialogues sollicitant mémoire et sens, en symbiose avec la nature, résultats d’une recherche sensible.
Reconnue pour l’architecture du Musée National Estonien (Grand Prix Afex 2016, nominé au Prix Mies Van Der Rohe 2017) Lina Ghotmeh a aussi réalisé « Des Grands Verres » le restaurant du Palais de Tokyo. Son projet de la tour « Stone Garden » est une véritable sculpture urbaine à Beyrouth et « Réalimenter Masséna » est une tour en bois innovante à Paris. Elle a reçu le Prix Européen 40/40 en 2018, le Prix DEJEAN 2016 de l’Académie Française, le Prix AJAP décerné par le Ministère de la Culture Française ainsi que le Prix 2A Awards 2018 à Barcelone. A Nice, elle a récemment été lauréate pour la conception et la réalisation de l'ilot 3.2., un projet de près de 20.000 mètres carrés sur un emplacement "stratégique et emblématique".
Lina Ghotmeh enseigne à l'école d'architecture de Yale ainsi qu’à l'université de Toronto ; elle copréside le réseau scientifique pour l'architecture dans les climats extrêmes et est membre du jury pour le prix Aga Khan d'architecture.

Pourquoi l'architecture plus qu'une autre discipline?
Parce que ça me passionne. J'ai grandi à Beyrouth. C'est une ville qui a souffert et les traces de la violence se voient sur la ville. La question de l'architecture est quelque chose avec lequel j'ai grandi, et même la destruction de l'architecture. Cela pose la question de notre environnement bâti. Quel est son rôle ? Pourquoi construire nos sociétés et parfois déconstruire nos sociétés?
Tout cela m’a donné envie de faire de l'architecture, de construire des lieux pour habiter, pour être ensemble, pour expérimenter dans et avec l'environnement. C'est un métier qui oblige à avoir une curiosité pluridisciplinaire, d'aller au-delà d'un simple domaine professionnel. Il se nourrit de connaissances diverses, que ce soit politique, sociologique, anthropologique, scientifique, c'est la véritable nature des matériaux avec lesquels on travaille. C'est vraiment l'expression du temps dans lequel on vit.
Est-ce aussi un acte politique ?
Faire de l'architecture est un acte politique, et bien au-delà de la politique. L'architecture a toujours été un produit politique, dans le sens où elle exprime les dynamiques politiques d'un temps donné. Cela ne concerne pas seulement la gouvernance en soi, mais aussi toutes les formes de pouvoirs, ces pouvoirs sociétaux qui construisent nos systèmes. D’une certaine manière, l'architecture est le produit du système, mais peut être aussi une critique de ce même système. Elle prend position. On peut ouvrir des alternatives. Lorsqu'on pense l'architecture durable, bien avant la prise de conscience planétaire, c'est une approche politique. C'est une approche relationnelle à travers l'environnement et au travers d’un contexte.
Est-ce que cette politique se prolonge dans la reconnaissance de la place des femmes en architecture ?
Je suis mal à l'aise avec ce genre de division En fait, la question n'est pas là, dans la dichotomie de genre. C’est plutôt une question de diversité. Comment notre environnement bâti peut exprimer la diversité aujourd'hui, est-ce qu’il exprime suffisamment la diversité, la diversité de genre, la diversité d'origines, de cultures? À mon sens, on a des modèles qui sont plutôt hégémoniques dans leur manière de construire et d'habiter la ville. En tant qu'architecte, je suis à la recherche de cette diversité. J'y suis très sensible et je cherche à sentir, de manière parfois très instinctive, ce rapport que moi, en tant qu'individu, j'entretiens avec l'environnement dans lequel je vis. Et bien sûr actuellement, je ne m'identifie pas forcément avec toutes les façons d'habiter et de produire la ville. D'où cette recherche de systèmes alternatifs, d’une façon de concevoir plus durable, plus en rapport avec la nature, plus humaine.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux
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